Les termes ont changé mais les objectifs demeurent. Pour résumer les grands axes de la future présidence de l’UE en décembre dernier, Emmanuel Macron parlait de relance, de puissance et d’appartenance. Devant le Parlement européen, le 22 janvier, il a utilisé les mots démocratie, progrès et paix.
Le parti pris de redynamiser le projet, voire l’idéal européen, est le même. On retrouve la réaffirmation de l’État de droit, acquis de l’histoire commune des 27 face aux dérives nationalistes et populistes. Lui est adossée la charte des droits fondamentaux « consolidée » dans ses valeurs. Enfin, pour maintenir la paix, le Président préconise d’armer l’Europe afin d’assurer son indépendance et de gagner en autonomie d’action.
Les travaux pratiques se déclinent en une instauration d’un droit d’initiative législative du Parlement (aujourd’hui réservé à la Commission), d’un Smic européen, de l’inscription de la protection de l’environnement comme de l’IVG dans le droit de l’Union et par la définition des contours d’un nouvel ordre de sécurité et de stabilité passant par un renforcement de l’espace Schengen, un partenariat réaffirmé avec l’Otan et une négociation avec la Russie. Sans omettre le pacte vert et la réussite du plan de relance.
Un plan de relance qui légitime le combat social et écologique
Commentant ses préconisations pour l’Europe, ses opposants français les ont confrontées au bilan hexagonal du chef d’État français : « inaction climatique », absence de sincérité sur le dossier social et de la démocratie, lui qui a exalté les premiers de cordée et réprimé les Gilets jaunes, critiques de « l’atlantiste » partisan d’une Europe forteresse.
Les élections françaises s’invitent inévitablement dans ce premier semestre européen, le président/candidat Macron l’a choisi, mais l’enjeu de la présidence française reste avant tout de consolider une Europe plongée dans une crise structurelle.
Face à la crise du covid, l’Europe a malgré tout su valider un plan de relance. Un « quoi qu’il en coûte » continental de 750 milliards d’euros dont 672,5 milliards ont été distribués directement aux États membres sous forme de prêts et subventions, le reste venant abonder les politiques territoriales et de solidarité (dont 40 milliards d’euros pour la France).
Pour le financer, les 27 ont même contracté un emprunt commun pendant l’été 2020 s’affranchissant de la calculette maastrichtienne. La BCE a financé indirectement les déficits publics au mépris d’une partie des cadres constitutifs de la zone euro.
Cet assouplissement des politiques fiscales et monétaires conduit aujourd’hui la France à considérer autrement le nouveau pacte budgétaire et à défendre la poursuite d’investissements publics nécessaires à l’Europe, quitte à « dépasser » la règle des 3 %. La question se pose tout particulièrement pour la transition énergétique, dont le coût estimé entre 600 à 1 000 milliards d’euros explique la confrontation des 27 sur la classification ou « taxonomie » des futurs labels verts.
Un pari à haut risque pour Emmanuel Macron
Les débats sont boostés par la montée des exigences climatique et de justice sociale. La pandémie a donné un caractère massif à des batailles comme « l’accès au logement abordable et durable pour tous » qui a conduit des millions d’Allemands à manifester en 2021 et le Parlement européen à voter un rapport sur le sujet, tandis que la commission a initié une plateforme européenne de lutte contre le sans-abrisme.
« Le couple franco-allemand a été moteur pour l’adoption du Next Generation EU. Même s’ils divergent sur la question du nucléaire, la situation peut les obliger à consentir de nouvelles avancées », analyse Barbara Steenbergen, activiste de l’International Union of Tenants (IUT) à Bruxelles.
Leïla Chaibi, vice-présidente de la Commission de l’emploi et des affaires sociales du PE, reste plus nuancée. « En quelques semaines, Emmanuel Macron est passé de la proposition d’un salaire minimum européen équivalent à 60 % du salaire médian à l’abandon de toute notion de seuil. Ce sont 4 millions de travailleurs des plateformes numériques qui auraient pu sortir de la précarité », explique-t-elle.
Emmanuel Macron semble bien sur une ligne de crête entre l’impossible statu quo en matière européenne, le cadre imposé par les règles des traités et l’impératif de répondre positivement aux nouveaux besoins fondamentaux des populations.
Comment l’hôte de l’Élysée résoudra-t-il l’équation ? Pour l’économiste Jacques Rigaudiat, la crise pandémique va être un accélérateur de la néolibéralisation de l’UE. « Le verdissement de l’économie va légitimer un nouveau remodelage de notre organisation sociale», décrypte-t-il. «L’endettement répondra à l’urgence climatique, mais en contrepartie seront imposées de nouvelles réformes structurelles », poursuit l’ancien conseiller social de Lionel Jospin et Michel Rocard à Matignon.
Casse-tête fiscal
Autre question : s’inscrit maintenant dans la durée la nécessité de trouver de nouvelles ressources financières pour soutenir les politiques de l’UE. L’Europe est acculée à « lever » de nouvelles taxes, entre le plan de relance, le nouveau programme de l’UE (cadre financier pluriannuel 2021–2027), et le départ du Royaume-Uni (troisième contributeur du budget européen).
En décembre, la Commission européenne a évoqué trois nouvelles ressources possibles :
- l’extension du marché carbone (12 milliards d’euros par an),
- la mise en place d’un prix du carbone sur les importations de biens en provenance de l’extérieur de l’UE (1 milliard par an),
- et une taxe mondiale sur les sociétés multinationales. Ce dernier principe, adopté avec l’accord de 136 pays le 8 octobre 2021, pourrait rapporter à Bruxelles, entre 2,5 et 4 milliards d’euros par an.
Reste que l’Union européenne ne prélève directement aucun impôt. Ses ressources budgétaires sont versées par les États membres. Quant à l’adoption de toute législation fiscale, elle requiert l’unanimité des voix au Conseil. Même si l’exigence de redistribution sociale est unanime dans les opinions publiques, l’UE a souvent du mal à faire consensus autour de ces questions, comme on le voit sur les Gafa avec l’Irlande ou d’autres pays qui pratiquent eux-mêmes l’évasion fiscale.
Il serait vaniteux de croire que la présidence française réglera l’ensemble de ces questions. À défaut, elle peut pousser à clarifier le débat des 27 sur ces enjeux clés.