Saint-Nazaire est un roman sans fiction
Patrick Deville, éd. Seuil, Paris 2024
Saint-Nazaire, port d’attache
« C’est la géographie qui fait l’histoire », décrète l’écrivain-voyageur Patrick Deville. Pour celui qui a bourlingué sur toute la planète et tous les océans, les lieux ont bien des choses à dire et à raconter, ce qui l’a conduit à imaginer le concept du roman sans fiction.
Ses livres, qui ont pour titre Kampuchéa, Équatoria, Samsara ou Amazonia, tirent leurs fils narratifs d’une relation avec le lieu. Cette fois-ci, c’est à son port d’attache que Patrick Deville consacre Saint-Nazaire. Né à Paimbœuf sur la rive gauche de la Loire, Patrick Deville a noué avec le port « de l’autre côté de l’eau » une relation au long cours : « Les ports de mer attirent les écrivains comme le phare appelle à lui la tempête », aphorise l’auteur.
Certes, la ville est a priori austère : reconstruite au cordeau après-guerre elle se retrouve affublée d’une ancienne base sous-marine, indestructible cube de béton dont elle n’a pas pu se défaire et qu’elle a donc dû s’approprier.
Mais Saint-Nazaire est aussi, comme tous les ports doublés de chantiers navals, une ville atypique et attachante. Patrick Deville en décrit l’âme industrielle et industrieuse, plongeant au cœur de l’activité de la construction navale et de la foule d’ouvriers qui font sortir de leurs mains ces cathédrales des mers.
Depuis la terrasse du bar de la Marine, il retrace par touches successives les heures de gloire de la construction des transatlantiques – le Normandie, Le France – et aujourd’hui celle des luxueux paquebots de croisière comme le Queen Mary 2.
Il fait défiler le jeune Jules Verne, Paul Gauguin, Ferdinand de Lesseps, Maïakowski, Nabokov ou encore Antonin Artaud au milieu des foules de passagers anonymes… ou de troupes militaires débarquant à chaque conflit. En effet, un port est toujours un point de passage d’un monde à l’autre et une terre d’accueil.
Ainsi, sous la houlette de Patrick Deville, Saint-Nazaire est ainsi le refuge d’auteurs étrangers qui viennent trouver à la maison des écrivains et des traducteurs un havre par vents contraires.
Cartes marines, poésie du littoral français en 130 cartes
Marine Le Breton (auteur), Ed. E/P/A, novembre 2023
Un subtil trait de côte
Des cartes à la main, faites de lignes et de points, à la manière d’une broderie graphique… Telle est l’approche de Marine Le Breton, jeune artiste graphique issue des Beaux-Arts de Lyon et de l’ECV Paris.
Depuis 4 ans, elle produit des cartes du littoral et des îles à partir des relevés officiels du Service hydrographique et océanographique de la marine (Shom), qu’elle sublime en œuvres d’une grande sensibilité, le plus souvent en monochrome ou bichromie. Ce travail lui a valu le prix Eugène-Louis Gillot de la Marine nationale qui récompense un artiste pour sa pratique autour du littoral.
L’éditeur E/P/A a eu la riche idée de réunir ses œuvres dans un beau livre qui dévoile 130 cartes dessinées à la main, représentant les fameuses côtes françaises… Dans cet ouvrage préfacé par le chanteur Miossec, les cartes sont complétées par des textes de spécialistes de nombreuses disciplines et quelques citations littéraires ou poétiques comme autant d’invitations aux voyages immobiles.
PMU, les 100 bars qui font la France
éd. Fooding, Paris 2024, 10 euros
À la santé des meilleurs troquets de France
Quel point commun entre le Barza de Wambrechies (59), La renaissance de Brioudes (43) et les Variétés du Thillot (88) ? Ces bars installés dans tous les recoins de l’Hexagone ont le privilège de figurer dans le petit guide PMU, les 100 bars qui font la France, publié par les éditions du très branché Fooding.
Ces rades sont un peu l’âme des villages et des villes du pays. Sur une terrasse ou au bord de l’eau, face à la mer ou à l’église, on y déguste des moules frites, des croque-monsieur, ou des saucisses purée, arrosé d’une petite mousse ou d’un ballon de rouge.
On y danse, on y pousse la chansonnette, on y supporte le club de foot ou de rugby local, on y fait son tiercé… Bref, on y vit pleinement et avec les autres. Pour nous les faire découvrir, ce guide au format poche ne manque pas d’entrées : abécédaire du parler PMU, palmarès des noms de troquets, portraits de tauliers, classement par genre : la bouche pleine, Tronches de PMU, à pas d’heure, etc. Et bien sûr, une fiche descriptive de chaque adresse où aller lever le coude avec modération !
En place
Réal. Jean-Pascal Zadi, avec Jean-Pascal Zadi, Éric Judor, Benoît Poelvoorde, Marina Foïs… Sur Netflix
Drôle de présidentielle
Noir et animateur de centre socioculturel de banlieue, Stéphane Blé se lance dans la course à l’élection présidentielle, entouré par une bande de bras cassés, pleins de bonne volonté. Mais la simple candidature de témoignage pour alerter sur les discriminations devient une hypothèse crédible, tant la classe politique s’est dévalorisée.
Face à un candidat de gauche – mais pas trop – cynique, une candidate écolo jusqu’au-boutiste, dénommée Douanier, le jeune homme novice, naïf et parfois benêt finit par remporter l’adhésion populaire, réussissant le rassemblement de la France des tours et France des bourgs.
À coup de punchlines hilarantes, de situations improbables, de gaffes à répétitions et d’autodérision, Jean-Pascal Zadi réussit une série en deux saisons au haut potentiel comique, doublée d’un regard fin sur les courants contradictoires qui traversent la société, entre colère, complotisme, racisme ordinaire et soif d’égalité.
Dans l’ombre
série créée par Lamara Leprêtre-Habib et Pierre Schoeller, d’après le roman d’Édouard Philippe et Gilles Boyer. Avec Swann Arlaud, Melvil Poupaud, Karin Viard, Évelyne Brochu, Maud Wyler.
De l’ombre à la lumière
Un coup de théâtre secoue l’échiquier politique : Paul Francoeur (Melvil Poupaud) gagne la primaire du parti conservateur face à une candidate volontiers démagogue (Karin Viard). Les obstacles sont aussi nombreux sur le chemin du pouvoir que les fake news sur les réseaux sociaux.
Pour les dépasser, un homme occupe une place centrale, tout en restant dans l’ombre : c’est le directeur de cabinet, à la fois stratège, complice, homme des coups bas comme des coups d’éclat. Joué par un impeccable Swann Arlaud, César Casalonga nous plonge dans les coulisses d’une campagne, de la primaire à la victoire finale entre gestion des rivalités au sein du parti, tricheries et morts suspectes.
Cette mini-série haletante, produite et diffusée par France TV, doit sans doute son réalisme aux auteurs du thriller politique écrit en 2012… un certain Édouard Philippe et son meilleur complice, Gilles Boyer.
Pour le droit de vote des enfants dès la naissance
Clémentine Beauvais, Tracts, Gallimard (N°59)
Et si l’enfance faisait grandir la démocratie
Et si les enfants votaient, il faudrait… Enseignante-chercheuse en sciences de l’éducation à l’université de York (Grande-Bretagne) et autrice jeunesse, Clémentine Beauvais nous invite à dépasser nos préjugés pour imaginer une démocratie revigorée, réellement participative, et plus accueillante.
Le droit de vote dès la naissance, voilà, comme l’écrit Clémentine Beauvais elle-même, une « idée provocante », « provocatrice même », qui « va à l’encontre de toutes nos convictions » ! Et de quoi se poser beaucoup de questions. Au nom de quoi – après l’inclusion tardive des femmes en 1944 – peut-on exclure du suffrage dit universel quelque 20 % de la population ?
Quel est le bon âge pour voter, sachant qu’il est fixé à 18 ans en France depuis 1974 (21 ans auparavant), mais à 17 ans en Grèce, 16 ans en Autriche pour les élections nationales, 16 ans également pour certains scrutins en Allemagne ou en Écosse… Les enfants sont incompétents pour voter ? Et les adultes ? Par bonheur, pas de tests en la matière ! Il y a les objections catégoriques.
Telle : l’enfance n’a rien à voir avec la politique. À l’école, au collège, à la maison, les enfants ne sont-ils pas pourtant les premiers à subir les conséquences de politiques d’austérité ? Un enfant a déjà une expérience vécue, soit « une forme d’expertise sur le monde ». Alors, si on imaginait, comme Clémentine Beauvais, qu’il existe ce droit de vote dès la naissance ?
Concrètement, chaque enfant, reconnu citoyen à part entière, pourrait être inscrit sur les listes électorales à sa naissance, et activerait ensuite son droit quand bon lui semblerait. Mais alors, sans doute faudrait-il se soucier davantage des « mesures qui protègent les enfants, actuellement, mais aussi sur le (très) long terme. »
De quoi aborder autrement les politiques environnementales. Sans doute aussi, verrions-nous plus clairement qu’« un enfant appartient à de multiples catégories sociales, et ressemble à beaucoup plus d’adultes qu’à d’autres enfants du même âge ».
L’âge n’est pas une division absolue. Enfin, il faudrait réfléchir à comment aider les enfants à mettre à distance leur propre expérience, à réfléchir de façon plus large, à appréhender des chaînes causales complexes… Au-delà des enfants, ce serait en fait « réfléchir à une pédagogie politique populaire qui valorise l’expérience vécue de tous les individus. Et qui la questionne. »
L’exercice est « réjouissant parce que juste », nous dit l’autrice, car il nous oblige à « aborder de front les contradictions, les limites et les failles de la démocratie, pour la rendre (c’est le pari) plus forte, plus sincère et plus égalitaire pour tout le monde – oui, même pour les adultes ».
Fontenay-sous-Bois, territoire d’écologie populaire
Jean-Philippe Gautrais en collaboration avec Nikos Maurice (Les éditions Arcane 17)
Fontenay-sous-Bois, un écosystème humain à préserver
L’écologie populaire, celle qui n’oppose pas fin du monde et fin de mois, c’est possible ! C’est la conviction de Jean-Philippe Gautrais, maire de Fontenay-sous-Bois depuis 2016. Il l’expose avec passion dans un livre écrit avec la collaboration de Nikos Maurice, journaliste et écrivain qui a passé son enfance dans la ville du Val-de-Marne.
Face à la crise écologique, on vante souvent les vertus des actions individuelles. Or, souligne Jean-Philippe Gautrais, c’est occulter « les ravages commis par l’économie capitaliste », système « incompatible avec la préservation du climat et de la biodiversité ». Et oublier que « la crise écologique ne met pas fin aux antagonismes de classes sociales ».
Mais si « seule une révolution de l’ordre économique et social dominant permettra de préserver l’écosystème humain », il ne s’agit pas de « se figer dans l’attentisme ». Pour l’élu, changer le monde est « une lutte politique de tous les instants à toutes les échelles ».
La commune est un échelon très pertinent, par le biais des politiques publiques qu’elle peut mettre en place, mais aussi en créant « les conditions pour que les habitants puissent s’organiser et s’émanciper ». Il ne s’agit pas de discours ! Le coeur du livre présente trois exemples concrets et détaillés des actions menées à Fontenay-sous-Bois en matière de politique alimentaire, d’aménagement du territoire et de transition énergétique.
Toujours en conciliant justice sociale et justice environnementale, amélioration de la vie quotidienne des habitants et transformation radicale des modes de production et de consommation. Ainsi les choix faits pour la cantine scolaire en régie publique (menus équilibrés, maximum de bio, bannissement des perturbateurs endocriniens, contrat passé auprès d’un pêcheur normand pour l’approvisionnement en poisson, éducation au goût, tarification sociale…) ont des conséquences positives en matière sanitaire, éducative, environnementale et sociale.
Antidote à la morosité, ce livre prouve que malgré les restrictions de compétences et de moyens financiers infligées aux communes, malgré des politiques nationales néolibérales qui détruisent les services publics et l’environnement sous des enrobages « verts », il est toujours possible d’agir.
À condition de favoriser la démocratie locale et l’implication citoyenne, de pratiquer l’accueil et la solidarité avec les plus vulnérables – comme Fontenay « ville-monde portée par des valeurs humanistes » a toujours su le faire –, et de s’employer à construire un maillage de collectivités prêtes au combat. Comme le résume Jean-Philippe Gautrais : « Pour faire de la politique, il faut aimer les gens ».