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Dominique Méda : « Les Français ont le sentiment que le travail n’est pas reconnu à sa juste valeur »

Philosophe et sociologue, Dominique Méda scrute le travail dans tous ses aspects et sous toutes ses formes depuis trente ans. Central dans notre vie, le travail est aussi source de frustrations et de souffrance. Quelles pistes existent pour sortir de cette impasse ?
La rédaction
Dominique Sicot
Publié le 17 décembre 2024

— Depuis 1995, une grande partie de vos recherches portent sur le travail. Pourquoi ce choix ?

Dominique Méda : Je peux essayer de vous l’expliquer. Mais alors, il faut que je vous dise deux mots de moi. J’ai d’abord étudié la philosophie, avec passion, jusqu’à l’agrégation. J’ai notamment retenu et forgé durant ces années une représentation de la société où le lien social est d’abord politique avant d’être économique (c’est le mythe du Protagoras chez Platon), où l’hybris est punie, où la limite et la tempérance sont des valeurs cardinales.

Et puis, en 1987, j’ai décidé de bifurquer et d’aller faire l’ENA pour mieux transformer le monde. Et là, j’ai découvert le pouvoir de l’économie et des économistes, l’obsession de la croissance et de la compétitivité, le travail mis au service d’une accumulation sans fin. La contradiction était complète.

C’est aussi à ce moment que j’ai lu les auteurs de l’École de Francfort, Adorno, Horkheimer, Habermas. Un peu plus tard, alors que je rejoignais mon corps de sortie, l’Inspection générale des affaires sociales, j’assistais le soir à un séminaire qui se tenait dans les sous-sols du ministère de la Recherche, animé par Jean-Marie Vincent et Toni Négri, sur le travail.

Je voulais comprendre comment nos sociétés avaient pu changer à ce point et mettre ce qui ne devait être qu’un moyen – le travail, l’argent – à la première place. J’étais très intéressée par les travaux d’Habermas et de Gorz (qui venait d’écrire Métamorphoses du travail. Quête du sens).

« L’idée que je soutiens, c’est qu’il importe que chacun, femme et homme, ait accès à la gamme entière et diversifiée des activités humaines : activités productives, politiques, amicales, amoureuses, de libre développement personnel »

En Allemagne, toute une série d’ouvrages et d’articles était parue autour des années 1980 pour mettre en cause l’emprise du travail sur la société et annoncer la réduction de son rôle. Habermas avait annoncé « la fin de la société fondée sur le travail ».

J’étais enthousiasmée par sa conviction qu’il fallait réduire la position occupée par le travail pour libérer un espace de délibération où la politique pourrait reprendre sa place. Le déclencheur a été ce moment, en 1993, où Alain Supiot [universitaire, spécialiste du droit du travail, de la Sécurité sociale et de la philosophie du droit] est venu présenter ses réflexions à la DARES [Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, du ministère du Travail, N.D.L.R.], qui venait d’être créée par Martine Aubry pour faire contrepoids à l’expertise de Bercy et que je venais de rejoindre pour m’occuper de la recherche.

Il soutenait qu’on ne pouvait pas considérer le travail comme une quantité car c’était une liberté1. Je venais aussi d’être sollicitée pour participer à la réflexion lancée par le Commissariat général au Plan : le travail dans vingt ans. J’ai décidé d’écrire mon premier livre seule (on avait déjà publié un gros manuel de politiques sociales avec mes collègues) : Le travail. Une valeur en voie de disparition ? (Édition Alto-Aubier, 1995).

J’essaye d’y présenter une histoire de la valeur accordée au travail, de montrer pourquoi et comment le travail est devenu une valeur et pourquoi nous devrions réduire sa place. L’idée que...

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