DÉBAT

Crise de régime, ou crise de légitimité ?

La rédaction
La rédaction
Publié le 16 juin 2023
Chronique réalisée par Benjamin Morel, maître de conférences à l’Université Panthéon-Assas Paris II.

Jamais les Français n’ont eu meilleure occasion de réviser leur Constitution. Ils connaissaient déjà l’article 49 alinéa 3, ils viennent de découvrir l’article 47-1, l’article 44 alinéa 3, et peut-être bientôt l’article 10 alinéa 2, l’article 11 alinéa 3… À ce rythme, nous pourrions avoir d’ici quelques mois le peuple le mieux informé de sa Constitution dans le monde. Le paradoxe de la crise de régime que nous vivons n’est qu’apparent. Le droit est un outil pour réguler le chaos. Ce n’est qu’en cas de conflit qu’il y a des contentieux, et qu’en cas de crise que les juristes sont sollicités. Une société harmonieuse gère naturellement les conflits, et l’appel à l’arbitrage de la norme juridique est un symptôme de tension.

Se faire élire sur un programme de réforme relève, pour les candidats, soit de l’entourloupe, soit du pari

Cependant, l’utilisation stakhanoviste des instruments constitutionnels de contrainte parlementaire ne sort pas de nulle part. Le président de la Ve République a — contrairement à l’image qu’il souhaite donner —, des pouvoirs minces en droit. Se faire élire sur un programme de réforme relève, pour les candidats, soit de l’entourloupe, soit du pari. En effet, ils ne peuvent le mettre en œuvre que s’ils disposent d’une majorité parlementaire disciplinée, répondant aux injonctions de l’Élysée. En se montrant fuyant et concentré sur l’international, Emmanuel Macron a réussi à se faire réélire sans grande difficulté pour un second mandat, ce qui, en dehors des périodes de cohabitation, est inédit sous la Ve République. Toutefois, le souffle de légitimité inhérent à l’élection présidentielle n’a pas accompagné ce moment d’expression démocratique. Le traditionnel effet de souffle sur les élections législatives, depuis que le quinquennat a organisé le télescopage des élections, n’a pas non plus joué son rôle, laissant le président sans majorité.

S’APPUYER SUR L’OPINION ET NON MUSELER LE PARLEMENT

Ainsi, Emmanuel Macron ne peut compter sur un mandat clair de l’électorat pour mettre en œuvre son programme présidentiel, qui est en réalité législatif, sans majorité pour ce faire. Heureusement, l’esprit de Michel Debré plane sur la Ve République, et notre Constitution contient toutes les dispositions nécessaires pour permettre à un gouvernement, même minoritaire, d’imposer sa volonté au Parlement. Cependant, lorsque ces dispositions ont été mises en place, elles devaient permettre aux gaullistes de l’emporter sur le désordre des partis, en s’appuyant sur l’opinion publique, et non de museler le Parlement pour devancer la grogne populaire.

Dans ce contexte, le gouvernement a confondu légalité et légitimité. Tout ce qui est fait est légal, donc tout ce qui est fait est légitime. Une telle approche est traditionnelle pour les juristes, mais elle est clairement et évidemment insuffisante. La légitimité implique l’acceptation du pouvoir comme s’exerçant dans des voies légitimes, et reconnu comme tel par les gouvernés. La légitimité ne dépend pas de la popularité, mais de la conviction que celui qui agit est en droit de le faire. En fin de compte, la légitimité implique l’adhésion naturelle au pouvoir. Si j’adhère au pouvoir, c’est parce que je crois qu’il est légitime, et c’est de cette croyance que provient l’obéissance qui rend la norme applicable. Si je pense que le pouvoir n’est plus fondé à diriger, une rupture s’opère qui le fragilise. Si je cesse de reconnaître le pouvoir comme le pouvoir et la norme comme la norme, alors le système juridique est caduc : c’est la définition juridique de la révolution.

UNE FORTE TRIPOLARISATION DE LA VIE POLITIQUE

En voulant absolument replier la légitimité sur la légalité, le gouvernement et Emmanuel Macron prennent le risque de fragiliser la légitimité constitutionnelle en faisant du rempart d’une politique mal fondée au regard de l’opinion publique. Ils risquent ainsi de transformer une crise politique en crise de régime. Cependant, ce pouvoir à la fois autoritaire et faible n’est pas que la conséquence d’une réforme de la procédure baroque, pour ne pas dire malheureuse. Les résultats des élections législatives, des élections législatives partielles et les sondages montrent une forte tripolarisation de la vie politique et un éclatement inédit sous la Ve République. Si cela doit perdurer, il faudra mécaniquement faire le deuil du bonapartisme institutionnel qui caractérise la présidentialisation du régime.

Dans tous les régimes parlementaires européens, les résultats de juin 2023 auraient conduit à la formation d’une coalition élargie produisant majorité et légitimité. Le programme de la coalition aurait été arrêté après des négociations entre partis et non imposé par le résultat de l’élection présidentielle. Que cela nous plaise ou non, c’est cette culture parlementaire que nous devons retrouver, à l’instar de nos voisins, pour stabiliser nos institutions. Cette culture commence également par repenser l’organisation de nos collectivités. La Ve République apparaît très parlementaire par rapport à l’organisation de nos communes, où la suprématie du maire rend accessoire le rôle d’un conseil municipal peu représentatif. Les départements et les régions sont également conçus comme des petits régimes bonapartistes locaux, donnant un pouvoir disproportionné à un élu cumulant, au mépris des principes, la tête de l’assemblée délibérante et de l’exécutif. Pour éviter l’instabilité et peut-être ramener du débat et de l’intérêt, il est donc temps de renouer avec le pluralisme.

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