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Accès aux soins : le retour en grâce des centres de santé municipaux

Érigés en instruments de lutte contre les déserts médicaux, les centres de santé territoriaux ont le vent en poupe.
La rédaction
La rédaction
Publié le 22 mai 2023
Dossier réalisé par Alain BRADFER

Il est de glorieux ancêtres dont on préfère ne pas se revendiquer. Il n’empêche, les centres publics — municipaux ou départementaux — de santé sont les héritiers directs des dispensaires des années 1930. De sinistre mémoire, ils étaient marqués du sceau de l’infamie propre à une population ouvrière qui ne pouvait accéder à la médecine, la Sécurité sociale restant à inventer. Les tuberculeux et phtisiques, qui constituaient l’essentiel de leur patientèle, ont disparu. Les temps ont changé avec l’apparition de ces déserts médicaux, qui rendent impossible l’inscription d’un patient auprès d’un médecin traitant imposée par la loi de 2004. Les refus d’inscriptions se chiffrent à 92 % dans la Sarthe, 88 % en Ardèche, 86 % en Seine-et-Marne, 81 % en Tarn-et-Garonne et 78 % en Charente. Paris et la plupart des grandes métropoles échappent au phénomène, bien que certains de leurs quartiers ou proches banlieues en déficit de médecins généralistes soient dans une situation comparable au « désert français ».

MENACE HIER, OPPORTUNITÉ AUJOURD’HUI

Les causes sont multiples. À commencer par le numerus clausus limitant l’accès aux études de médecine, instauré en 1971, afin de contenir le déficit des comptes de l’Assurance Maladie et dans le but — non avoué — de limiter la concurrence dans le monde médical. Ensuite, la désaffection des internes à l’égard d’un cursus menant à la médecine générale. Enfin, les astreintes liées à la pratique, relativement mal rémunérée à l’acte. Un mouvement est né dans les années 1980, à l’instigation de collectivités territoriales, majoritairement de gauche, ravivant le flambeau de celles qui, dans la « banlieue rouge » parisienne, avaient ouvert des dispensaires. Longtemps perçus comme une menace substantielle par le corps libéral de la médecine de ville, les considérant
comme une « médecine de caisse », les centres de santé avaient mauvaise presse. Il faut attendre 1991 et un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, suivi de décrets, pour que les centres de santé soient reconnus. Et surtout, par un conventionnement avec la Sécurité sociale les faisant passer d’une dépendance des caisses locales à la caisse nationale. Ce qui a facilité leur gestion en matière de tiers payant. Les centres municipaux de santé sont nés sur les cendres refroidies des dispensaires d’autrefois. Avec pour première fonction de délester les médecins généralistes des charges administratives et financières d’une installation en cabinet privé. En les salariant par ailleurs, ce qui
est devenu une aspiration de plus en plus prégnante chez cette catégorie de praticiens. S’y ajoute une pratique collégiale permettant autant le partage des tâches que des connaissances. Et au bout du compte, un patient qui retrouve un médecin traitant devenu inaccessible dans bien des régions.

CHRISTIAN LAURENT, médecin généraliste.
CHRISTIAN LAURENT, médecin généraliste.
 
 

« Je ne fais plus que du médical »

Près de 90 % des jeunes médecins généralistes rechignent à ouvrir ou reprendre un cabinet en exercice libéral. Constat que le docteur Christian Laurent mentionne au nombre des causes de la désertification médicale du territoire. Généraliste, il a connu les trois modes d’exercice : en cabinet, en maison de santé puis, désormais en retraite, dans un centre municipal de santé dont il se fait un ardent avocat. La maison de santé d’un village de 3 000 habitants du sud de l’Oise s’est délitée. La mairie qui en a repris les murs cherche en vain un généraliste libéral pour les occuper. En revanche, le centre municipal distant de quelques kilomètres qu’il a rejoint n’a eu aucun mal à recruter ses médecins.    « Si l’on ouvre de nouveaux centres de santé, on trouvera les médecins », soutient-il. Il en est à ce point convaincu qu’il a aidé le maire d’une commune voisine de moins de 2 000 habitants à créer son propre centre. Les quatre généralistes, salariés, sont délestés de toute tâche administrative. « Je ne vois même pas une carte Vitale et je ne fais plus que du médical », insiste-t-il. Et de plaider pour que se retisse ce premier rideau qu’est la médecine générale, sans lequel les urgences de l’hôpital constituent le seul recours.

ANDRÉ ACCARY, président du conseil
départemental de Saône-et-Loire.
 

 « Je suis passé entre les articles de loi »

André Accary

« J’ai été hors-la-loi pendant quatre années sur cinq », admet André Accary. En créant le premier centre départemental de santé, il s’est faufilé entre les articles de loi pour s’engouffrer dans un vide juridique. Certes, la santé n’entre pas dans les attributions des départements qui, de plus, ont perdu en 2015 la clause de compétence générale. « Rien ne l’autorisait, mais rien ne l’interdisait non plus », juge-t-il, avant qu’un arrêté de 2022 ne légalise une situation qui a bénéficié de la bienveillance de l’Élysée autant que de l’État. Il faut dire qu’il y avait un cas de force majeure : le département de Saône-et-Loire, sixième de France par sa superficie, ne comptait plus que 110 médecins généralistes pour 100 000 habitants, avec 35 % de départs à la retraite en prévision. Les aides à l’installation et à l’ouverture de maisons de santé d’exercice libéral n’ont donné que des résultats insignifiants. « Nous avons pris la mesure des aspirations de la profession et nous nous sommes inspirés des modèles mis en place dans la banlieue rouge parisienne dans les années 1930. » Réunis à trois dans un bureau, les élus ont établi un maillage du territoire en sept centres de santé et dix-neuf antennes. « Nous avons recruté 70 médecins, mais il en faudrait 250 pour couvrir les besoins », admet-il.

Barros 3
PIERRE BARROS, maire de Fosses
(Val-d’Oise).
 

« Je me suis entendu avec le maire de la commune voisine »

La réalité s’est imposée en 2015. L’un des deux cabinets médicaux de cette ville de 10 000 habitants menaçait de fermer à cause du départ de l’un de ses praticiens vers une maison de santé voisine et une retraite programmée, et l’autre généraliste évoquait quant à lui la perspective de s’installer sous d’autres cieux. « Nous risquions de nous retrouver sans médecin à court terme. Je me suis entendu avec le maire de Marly-la-Ville et nous avons estimé à 200 000 euros l’ouverture d’un centre de santé commun dans le cadre du réaménagement du centre-ville », expose-t-il. Une entente d’autant plus aisée que l’unique généraliste de Marly — 6 000 habitants et sœur siamoise de Fosses — évoquait, lui aussi, sa retraite. « En observant le fonctionnement de la maison de santé du village voisin, nous nous sommes rendu compte que cela ne ramenait pas de médecins », soutient-il. « De plus, je n’imaginais pas financer une structure privée. » Démonstration de la pertinence du raisonnement : le centre de santé ouvert en 2019 n’a eu aucun mal à recruter ses quatre généralistes. Après quatre ans de fonctionnement, le modèle n’est pas encore à l’équilibre, mais s’améliore d’année en année. Et cela sans porter ombrage au cabinet libéral demeuré sur place et qui s’est agrandi depuis.

HUIT ÉTAPES POUR CRÉER UN CENTRE DE SANTÉ
1. S’informer sur la législation
L’arrêté du 27 février 2018 précise les modalités d’organisation et de fonctionnement des antennes, la composition du projet de santé, la composition du règlement de fonctionnement et l’engagement de conformité.
2. Élaborer un diagnostic territorial
Procéder à deux états des lieux : la santé des populations du territoire et l’offre de soins existante. Des outils créés par l’Assurance Maladie et les agences régionales de santé (ARS) permettent ces diagnostics.
3. Rédiger le projet de santé et le règlement de fonctionnement
Le projet de création à adresser à l’ARS reprend le diagnostic territorial et présente les modalités d’organisation du centre. Il faut y joindre l’engagement de conformité.
4. Élaborer un budget prévisionnel
Il doit être établi pour les trois premières années de fonctionnement. Les recettes sont constituées des remboursements par l’Assurance Maladie. Les dépenses sont constituées des rémunérations, loyer, maintenance, matériel, etc.
5. Solliciter des financements
Ces financements peuvent dépendre de la zone d’implantation, de la nature de l’aide et du niveau d’implication des entités sollicitées.
6. Procéder au recrutement des professionnels de santé et administratifs
Parmi les canaux, le site de la Fédération Nationale des Centres de Santé (FNCS), la presse professionnelle, la faculté de médecine le plus proche. À noter, l’importance de la qualification du personnel administratif appelé à la gestion du planning, du tiers payant et de la consultation des droits.
7. Se doter de locaux adéquats
Ils dépendent de la composition de l’équipe. Un financement peut être sollicité auprès du conseil régional. La FNCS dispose d’une liste des matériels à pourvoir.
8. Choisir un système d’information labellisé
Ce système d’information facilite la gestion du tiers payant, de mettre en œuvre le dossier médical partagé et de fluidifier les parcours de santé.
Source : FNCS
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