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Le 22 mars dernier, à l’occasion de la Journée mondiale de l’eau, l’ONU rappelait que 2,2 milliards de personnes sur terre n’ont pas accès à de l’eau salubre. Nos problèmes peuvent donc sembler légers ! Pourtant, la France, qui a longtemps pu bénéficier d’une eau abondante et peu chère pour ses multiples usages — à l’exception de l’outre-mer —, voit désormais s’amonceler les difficultés du fait du changement climatique. Les sécheresses estivales sont plus fréquentes, plus longues et touchent des territoires jusqu’ici épargnés. Et fin février, faute de pluies suffisantes pendant l’hiver, l’alerte était déjà donnée dans plusieurs départements.
PLAN À FAIBLE AMBITION
Face à cette situation, et dans le cadre de la planification écologique, le président de la République a annoncé le 30 mars un Plan eau décliné en 53 mesures qui restent à préciser. Il est présenté comme un plan de sobriété et d’efficacité. Avec un double objectif : passer l’été en évitant au maximum les coupures d’eau potable et réduire de 10 % d’ici 2030, et par rapport à 2019, la quantité d’eau prélevée dans le pays (voir encadré) via les efforts et les économies de tous les secteurs. Des ambitions plus que modestes : en 2019, les Assises de l’eau avaient déjà affiché cette volonté d’une réduction de 10 % de la quantité d’eau prélevée, mais d’ici 2024, et de 25 % d’ici 2034…
Parmi les mesures phares figure une tarification progressive de l’eau, avec un prix au m3 plus élevé au-delà d’un certain niveau de consommation, déjà expérimentée par Dunkerque, Montpellier ou Libourne. Est également prévue une hausse du budget des Agences de l’eau, ces établissements publics d’État qui gèrent l’eau sur un bassin hydrographique, d’environ 475 millions d’euros par an pour un budget actuel d’environ 2,5 milliards. Pas de précision à ce jour sur les modalités de cette hausse, mais 180 millions d’euros par an à partir de 2024 seront consacrés à aider les communes à lutter contre les fuites d’eau du réseau d’alimentation en eau potable (20 % d’eau perdue, soit 1 milliard de m3 par an). Seul hic, le déficit annuel d’investissement nécessaire pour y remédier est estimé entre 1,5 et 1,8 milliard. Des projets sont annoncés pour recycler ou réutiliser les eaux usées traitées avec l’objectif d’atteindre 10 % d’eaux usées recyclées d’ici 2030, contre 1 % actuellement. Ou encore une évolution des pratiques agricoles et des techniques de stockage de l’eau, à préciser là encore.
ENJEU DE GOUVERNANCE
Pour économiser l’eau, « on connaît les solutions techniques, même si elles sont plus ou moins chères, plus ou moins complexes, plus ou moins adaptées à tel ou tel territoire, estime Florence Daumas, déléguée générale du Cercle Français de l’Eau1, mais ce qui est compliqué, c’est la gouvernance ». La politique de l’eau est en effet à la fois déconcentrée et décentralisée. Mais qui fait quoi ? Qui coordonne quoi ? Les réponses ne sont pas toujours claires. Dans son dernier rapport annuel, la Cour des comptes pointe ainsi « des responsabilités importantes » confiées aux collectivités locales, qui se heurtent « à une intervention permanente de l’État » manquant parfois elle-même de cohérence. Et « un morcellement » de l’intervention des collectivités locales, souvent « conduite à une échelle géographique inadaptée ».
Depuis la loi de 1964, la gestion de l’eau est organisée par bassin hydrographique2 et confiée à des établissements publics, les Agences de bassin devenues Agences de l’eau3, associées à un organe de concertation, le comité de bassin, véritable Parlement de l’eau sur chacun de ces bassins. Mais ces périmètres ne correspondent pas aux périmètres administratifs, et ils ne dialoguent pas forcément entre eux. Dans certains territoires, les élus travaillent ensemble et se sont regroupés au sein d’EPTB (établissements publics territoriaux de bassin) ou d’EPAGE (établissements publics d’aménagement et de gestion de l’eau) pour mener la compétence GEMAPI (gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations)4. « Et même dans ce cas, il manque une collectivité chef de file », pointe Florence Daumas.
Autre élément de flou supplémentaire : depuis la loi NOTRE de 2015, régions et départements ont perdu leurs compétences générales. « Dans le domaine de l’eau, les intercommunalités commencent à cumuler pas mal de compétences : eau potable, assainissement, gestion des eaux pluviales urbaines et la compétence GEMAPI, explique Florence Daumas. Mais pour tout ce qui est vraiment gestion quantitative (sécheresse, inondations), c’est assez flou. Faute de chef de file désigné, les territoires s’organisent selon leur volonté politique, leurs spécificités, leur histoire. Sans doute faut-il déjà réapprendre à se parler, et les commissions locales de l’eau pourraient être un lieu adéquat. Tripartites (État, collectivités, usagers), elles sont démocratiques — leur problème, c’est qu’elles n’ont pas de statut juridique. Mais ce serait déjà une avancée. »