Par Jacqueline VIRUEGA
Dans quels métiers manque-t-il du personnel ? Quasiment à « tous les postes », déplore Olivier Ducrocq de l’Association des directeurs et directeurs adjoints des centres de gestion de la fonction publique territoriale (ANDCDG). Pénurie d’animateurs en périscolaire, de personnels de cantine, d’aides-soignants en EHPAD, de puéricultrices, d’assistants sociaux, d’éducateurs spécialisés, d’infirmiers, de médecins, de sages-femmes… Le social et la santé ne pas sont seuls en cause. Des milliers de postes de juristes, de maîtres-nageurs, de chauffeurs de bus sont à pourvoir. Dans toutes les communes ? Oui, le phénomène s’observe sur tout le territoire, aussi bien dans les métropoles que dans les petites villes rurales, mais avec des disparités. « La baisse de l’attractivité se mesure différemment selon la nature des collectivités (les recrutements sont plus difficiles pour les petites communes en raison du risque d’isolement, et dans les grandes agglomérations où le coût de la vie est trop élevé pour les agents de catégorie C), et selon leur implantation géographique, l’ouest de la France étant plus attractif que l’Est et le Sud-Est », détaille le dernier rapport sur la question 1. Cela empêche-t-il le service public ? Parfois. Sans secrétaire de mairie, une commune de moins de 1 000 habitants ne fonctionne plus. Faute de conducteurs, le transport scolaire s’arrête. Dépourvu de spécialistes, un service de médecine du travail doit fermer.
Concurrence entre public et privé
Ce déficit massif a des causes conjoncturelles : les nombreux départs en retraite se cumulent aux effets délétères de la crise sanitaire. La pandémie a épuisé le personnel en première ligne et empêché les concours et les formations pendant deux ans, d’où le manque de recrues sur des postes titulaires et sur des emplois comme les animateurs diplômés du Bafa (brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur). La reprise économique a fait flamber les offres d’emploi et attisé la concurrence entre le public et le privé, et entre les fonctions publiques. Dans cette course à l’embauche de salariés qualifiés, la territoriale n’attire que très peu. Surtout chez les jeunes, qui méconnaissent largement les possibilités : « L’accès à la fonction publique territoriale est connu par la moitié des personnes interrogées, mais 26 % pensent qu’il faut résider dans la commune où se trouve le poste, et 10 % pensent… qu’il faut connaître un élu », relève une enquête sur l’attractivité de la fonction publique territoriale, réalisée en novembre 2021 pour le ministère de la Transformation et de la Fonction publique. L’absence de candidatures et le turnover proviennent-ils du bas niveau de salaire qui éloigne les informaticiens autant que les agents de la protection de l’enfance ? Les techniciens du spectacle ne sont-ils pas rebutés par les horaires à rallonge et les exigences de polyvalence, sans rapport avec la rémunération, qu’entraînent les restrictions budgétaires ? De fait, « les rémunérations ont évolué faiblement ces dernières années, le management est perçu comme “vieillot”, les métiers sont exposés à la fatigue physique et nerveuse, l’organisation des concours est complexe et pas toujours en adéquation avec les besoins des collectivités et les compétences des candidats 2. »
« Il n’y a pas de crise des vocations. Le service public
local attire celles et ceux qui trouvent un sens à leur
emploi. C’est la dégradation des conditions de travail
qui les éloigne »
– Natacha POMMET –
Réalisé chaque année, le baromètre La Gazette-MNT du bien-être au travail, mesure le moral des agents territoriaux. L’édition de novembre 2022 montre que trois quarts des agents se disent satisfaits d’exercer dans la fonction publique territoriale. Mais cette part est en baisse de 4 points sur un an et même de 7 points parmi les agents de la catégorie C. Un tiers d’entre eux se déclarent même mécontents de travailler au sein de leur collectivité. Parmi les motifs d’insatisfaction : les relations avec la hiérarchie, l’épanouissement dans le travail, le manque de reconnaissance et… la rémunération, malgré la hausse du point d’indice.
D’abord, le sens
La question salariale, cruciale, n’est pas le seul frein. Hélène Guillet, du Syndicat national des directeurs généraux des collectivités territoriales (SNDGCT), dénonce l’incohérence des rémunérations de la FPT : « Attendre neuf ans pour une augmentation du point d’indice […] parce que les grilles sont tassées […]. Il y a pénurie de DG, car il n’y a plus d’intérêt d’aller sur ces postes », mais elle ne place pas le salaire en tête des facteurs d’attractivité : « La question du sens et du projet arrive toujours [d’abord], la qualité des relations [ensuite], la rémunération en troisième position. [Puis les] conditions de travail au sens large. » Pour Natacha Pommet, secrétaire générale de la fédération CGT des services publics, première fédération du secteur, « il n’y a pas de crise des vocations. Le service public local attire celles et ceux qui trouvent dans l’intérêt général un sens à leur emploi. C’est la dégradation des conditions de travail qui les éloigne. » Et de pointer « la conjugaison de salaires trop bas, de conditions de travail dégradées, de temps partiels imposés. Les contrats précaires de droit public ou privé se multiplient, les agents présents assurent plus de missions avec moins de budget, de personnel, de temps. » De plus, les marges de manœuvre des collectivités pour attribuer des primes et passer des accords locaux sur la durée du travail « disparaissent » s’inquiète Natacha Pommet. Pour sortir de l’ornière, la CGT réclame « plus 10 % de salaire, plus 10% de créations de postes (190 000 postes statutaires s’ajoutant aux 1 900 000 fonctionnaires en poste aujourd’hui) et moins 10 % de temps de travail ».
« Attention à ne pas suralimenter le discours sur la perte d’attractivité de la FPT […]. Soyons dans une logique de riposte par rapport à tout cela », nuance Mathilde Icard 3. Affirmer une fierté de l’emploi public, pourquoi pas ? François Deluga du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) estime que « la perte d’attractivité de la fonction publique est due [en partie] à la stigmatisation des agents publics » et Johan Theuret (Sens du service public) rappelle qu’en 2019 « 57 % des métiers en tension dans le secteur public l’étaient aussi dans le privé 4. [Pourquoi pas] une grande campagne de communication nationale de valorisation de nos métiers [?] Cela relève de la volonté politique et des moyens financiers qu’on peut y consacrer 5. »