Marie-Christine Vergiat a siégé au Parlement européen de 2009 à 2019. Elle y a été membre de la sous-commission des droits de l’Homme et de la commission des libertés civiles. Spécialiste de la question, elle a été l’autrice d’un rapport consacré aux migrations et droits de l’Homme dans les pays tiers.
— Comment expliquer cet écart sémantique entre « réfugiés »
et « migrants » ?
Marie-Christine Vergiat : Ce n’est pas tant un problème sémantique qu’un problème d’instrumentalisation politique de mots dont on oublie le sens pour alimenter les peurs et les fantasmes.
Un migrant, c’est simplement une personne qui quitte un pays pour aller vivre dans un autre et les motifs de migration sont divers et souvent s’entremêlent. On peut par exemple partir faire ses études à l’étranger, y rencontrer l’âme sœur et décider alors de s’installer dans ce pays. Il est très rare que l’on parle des 2,7 millions de Français qui vivent à l’étranger et qui sont des migrants, même si le plus souvent ils sont appelés expatriés.
De fait, celles et ceux que l’on appelle « migrants » sont, la plupart du temps, des personnes qui n’ont pas le choix, qui sont obligées de quitter leur domicile, de fuir loin de chez eux. Ils sont victimes de migrations contraintes : poussés par des guerres, comme on le voit aujourd’hui avec la population venant d’Ukraine ou celles et ceux qui ont fui la Syrie notamment en 2015 et 2016 ; les persécutions politiques, tels les Afghans, les Iraniens, les Soudanais et bien d’autres ; ou encore les changements environnementaux et la misère, les deux étant souvent intrinsèquement mêlés.
« Un migrant sur deux dans le monde est aujourd’hui une migrante, et c’est même 52 % pour celles et ceux qui viennent en Europe. »
On voudrait nous faire croire qu’il y a, d’un côté, les « bons » réfugiés, et de l’autre, les « mauvais » migrants économiques. Cela n’a aucun sens. Il n’ya pas de raisons plus nobles que d’autres de quitter son pays. Celles et ceux à qui l’on refuse l’entrée sur le territoire européen sont essentiellement des personnes qui viennent du Moyen-Orient et d’Afrique. Elles n’ont pas la chance de pouvoir bénéficier de voies légales de migration et on leur dénie de plus en plus le droit de demander l’asile sur notre sol, ce qui est contraire au droit international.
La guerre en Ukraine et ses conséquences nous montrent que l’accueil est avant tout une question de volonté politique. Il vaut mieux expliquer les choses plutôt que de reprendre les thématiques qui sont portées depuis tant d’années par l’extrême droite. Les étrangers représentent 5 % de la population européenne, on est assez loin de la menace d’un soi-disant « grand remplacement » et rien ne changera dans les prochaines années, même avec le changement climatique.
— Comment jugez-vous l’activation de la directive européenne de 2001 organisant le droit au travail, au logement et aux prestations de santé en faveur des réfugiés ukrainiens et toujours refusée aux « migrants » ?
MCV : L’activation de cette directive est une très bonne chose. Elle permet effectivement aux personnes qui en sont bénéficiaires d’accéder immédiatement aux droits fondamentaux. C’est ce qu’il faudrait faire pour toutes celles et tous ceux qui cherchent une protection internationale. Et nous n’accueillerons pas pour autant toute la misère du monde.
Je regrette juste que cette directive n’ait pas été activée plus tôt, notamment comme le demandait le Parlement européen au moment de la crise de 2015 et 2016 qui fut avant tout une crise de l’accueil et de la solidarité entre les États européens. Heureusement que l’Allemagne était là, car elle a accueilli à elle seule les deux tiers des personnes qui ont traversé la Méditerranée à ce moment-là, soit environ un million de personnes.