Gabriel Colletis est professeur de sciences économiques à l’Université de Toulouse 1 Capitole, et président de l’association Manifeste pour l’Industrie.
— Qu’est-ce que l’association Manifeste pour l’Industrie ?
Gabriel Colletis : C’est une association née en 2013, après la publication dans Le Monde d’un texte que j’avais signé seul au départ. Des lecteurs du quotidien ont voulu en faire une sorte de manifeste collectif. Et c’est à la suite de cela que nous avons créé cette association. Elle rassemble aujourd’hui entre 60 et 70 personnes, dont la conviction absolue est qu’un pays ne peut pas rester développé s’il ne dispose pas d’une base productive puissante. En France — même si on ne néglige pas du tout l’agriculture —, il s’agit principalement de l’industrie. Mais pas de n’importe quelle industrie : une qui soit respectueuse de l’environnement et soucieuse de la transition écologique.
Quant aux adhérents, ils sont composés pour un gros tiers d’universitaires, un gros tiers de personnes impliquées dans les entreprises — salariées, syndicalistes ou chefs d’entreprise —, et un dernier tiers plus divers (journalistes…). Même si le siège se trouve à Toulouse, c’est une association nationale.
— Vous remettez en cause les politiques suivies depuis 20 à 30 ans, fondées sur l’idée de compétitivité/prix, ou de « choc d’offre ». Pourquoi ?
GC : Pour un pays comme la France, où les gens qui travaillent sont globalement qualifiés, la bonne compétitivité ne peut se faire par les coûts, mais en proposant des biens de qualité, à forte valeur ajoutée, donc nécessairement chers.
Or on a cherché principalement à alléger le coût du travail en diminuant ce qu’on appelle les « charges » des entreprises, c’est-à-dire les cotisations sociales, en allégeant la pression fiscale sur les entreprises.
« Viser une autonomie productive dans des domaines vitaux : énergie, transports, santé… »
Cette stratégie a en fait échoué. La France a perdu des parts de marché et est devenue ultra-dépendante de ses importations. Or on ne peut pas être un pays souverain dans ces conditions. Manifestement, ce n’est pas la bonne politique. Même si on peut comprendre que cette stratégie visait un autre objectif, à savoir améliorer la rentabilité des entreprises, et non améliorer la compétitivité. Ce qui n’est pas du tout la même chose et est plus difficile à afficher.
— Quels sont les points essentiels de la nouvelle politique que vous proposez ?
GC : Il faut d’abord lier renouveau industriel et transition écologique, et sortir de notre dépendance aux importations. S’il n’est pas question de tout produire sur le sol national, il faut identifier les domaines stratégiques ou vitaux pour lesquels il faut viser l’autonomie productive (énergie, alimentation, santé, eau, transports, défense, données numériques sensibles, télécommunications…).
D’autre part, pour que la réindustrialisation soit compatible avec l’écologie, il faut à la fois d’autres façons de produire et d’autres produits. Prenons l’exemple de l’électroménager : depuis la fermeture de Whirlpool à Amiens, nous ne produisons plus aucun lave-linge, alors que nous en achetons 2,5 à 3 millions chaque année, produits pour la plupart en Asie et transportés sur des milliers de kilomètres. Relocaliser la production d’électroménager, cela veut dire élaborer des produits éco-conçus et totalement réparables. Et pour y inciter, aucune pièce du lave-linge et du lave-vaisselle ne doit dépasser 15 % du prix.