— Vous défendez depuis longtemps l’idée d’une nécessaire réindustrialisation de la France. Cette idée est devenue quasiment consensuelle aujourd’hui. En êtes-vous satisfait ?
Arnaud Montebourg : C’est peut-être consensuel dans le discours, mais les actes ne sont pas là. Ce qui compte, ce sont les résultats. Moi, je pars de la balance commerciale de la France, ce que l’on importe par rapport à ce que l’on exporte : 95 milliards d’euros de déficit attendus en 2022. C’est un record historique et un record en Europe. Même la Grèce, l’Espagne et la Roumanie avec qui nous partageons cette contre-performance ont réduit leur déficit. Nous, nous l’avons aggravé. Nous sommes la lanterne rouge sur le plan de l’indépendance industrielle et agricole.
— Comment l’expliquez-vous ?
AM : Nous importons chaque année 10 milliards de médicaments alcaloïdes, utilisés lors des opérations chirurgicales, 1,8 milliard d’antibiotiques, 2 milliards de médicaments contenant des stéroïdes [des anti-inflammatoires, NDLR]. Nous sommes pourtant l’un des berceaux de l’industrie pharmaceutique mondiale. Comment en sommes-nous arrivés là ? Parce que nous n’avons pas utilisé la commande publique hospitalière. Parce que nous avons laissé les grandes entreprises que l’on subventionne à coups de crédit d’impôt recherche délocaliser leurs usines de fabrication. Aujourd’hui, nous achetons en Inde et en Chine. Médiatiquement, on retient que le gouvernement finance la relocalisation d’usines de Doliprane, mais ce n’est qu’une goutte d’eau ! Le vrai sujet porte sur 15 milliards de produits stratégiques.
Prenons un autre exemple. Nous sommes forts en matière d’industrie automobile, aéronautique et ferroviaire. Mais nous sommes des assembleurs. Nous avons abandonné les chaînes de valeur. Ainsi, on importe presque 1 milliard d’euros par an de radars. Même chose pour les thermostats, les cellules de batteries (polymères, accumulateurs). Nous importons y compris les éléments qui sont des sous-ensembles critiques.
Prenons maintenant le BTP. Le matériel de levage et de manutention : nous en importons 4,2 milliards par an. Les machines qui servent à la construction : 3,7 milliards. Engrenages et organes de transmission : 3,5 milliards.
Finalement, on ne produit plus rien en France ! Même les huiles et les graisses, alors qu’on a une bonne agriculture, nous en importons 3 milliards.
« Nous sommes la lanterne rouge sur le plan de l’indépendance industrielle et agricole en Europe. »
— Comment s’en sortir ?
AM : Il faudra dix ans pour remonter la pente dans tous les secteurs et on ne pourra pas le faire par des mesures macro-économiques. La baisse des soi-disant « charges », des impôts de production… ça ne suffira pas. Il va falloir faire de la micro-économie.
Pour moi, le seul modèle qui fonctionne, c’est le modèle NASA/SpaceX. Soit la commande publique et un opérateur privé, avec un contrat de long terme. Dans tous les secteurs où l’on peut faire de la commande publique, il faut le faire. Cela suppose qu’il y ait une préférence pour le « made in France » et nécessite que nous transformions nos règles de la commande publique.
— Est-ce possible dans le cadre européen ?
AM : Bien sûr ! Tout est possible. À un moment, il va falloir que les États membres refusent les règles stupides. Comme on l’a fait pour la règle des 3 % de déficit public, comme on l’a fait à propos des aides de l’État… Toutes ces règles sont stupides et obsolètes, le moment est donc venu de s’en abstraire. Et cela suppose un tout petit peu d’ambition politique de la part des dirigeants français.
Avocat de formation, Arnaud Montebourg a été député, président du Conseil général de Saône-et-Loire, ministre du Redressement productif puis de l’Économie de 2012 à 2014. Il est aujourd’hui entrepreneur. « J’ai voulu imaginer de nouveaux modèles économiques où l’on rémunère mieux l’agriculteur », explique-t-il. Il a ainsi créé Bleu Blanc Ruche (miel) ; La Compagnie des amandes, qui vise à replanter des amandiers dans le midi de la France en partageant les résultats avec les agriculteurs ; et enfin La Mémère (crèmes glacées bio). « Nous avons installé des ateliers de transformation du lait par l’agriculteur lui-même et on partage les profits des glaces avec lui, alors que d’habitude le distributeur impose ses prix au transformateur, le transformateur achète la matière à vil prix à l’agriculteur qui ne peut pas vivre de son travail. Là, nous sommes associés et nous gagnons de l’argent avec le paysan et non pas sur son dos. »
Pour aller plus loin
Rapport pour le Haut Commissariat au Plan rédigé par Laurent Cappelletti
(professeur du CNAM), 2022.
• Une réindustrialisation de la France est-elle vraiment possible ?
Vincent Vicard, adjoint au directeur du CEPII, blog du CEPII, 2021.
• Le tissu productif français : construire la résilience face à l’imprévisibilité des chocs
Sarah Guillou, Sébastien Bock, Evens Salies, Lionel Nesta, Mauro Napoletano, Michele Pezzoni, Tania Treibich et Francesco Vona, OFCE Policy Brief 105. 22 mars 2022, Sciences Po, OFCE.