Benjamin Morel est maître de conférences à l’Université Paris 2 Panthéon-Assas.
Plusieurs fois dans notre histoire, la décentralisation a été pensée comme un instrument de conquête du pouvoir. Sous le Second Empire, les républicains, constatant l’impossibilité de s’imposer au parlement, avaient fait le pari d’une conquête du pays par la base pour pousser les citoyens à aspirer à un nouveau régime. Quelques décennies plus tard, les socialistes useront d’une méthode similaire en prônant le socialisme municipal. À d’autres moments de notre histoire, les collectivités ont, au contraire, servi de base de repli à des forces politiques en voie de marginalisation. Ce fut le cas au tournant de la Ve République quand la droite non-gaulliste et les radicaux y ont trouvé leur salut. Toutefois, dans chacun de ces cas, les champs politiques locaux et nationaux n’étaient pas totalement imperméables. Républicains et socialistes avaient une ambition nationale, et le local n’était qu’un moyen au service d’une fin plus large qui ne devait pas tarder à advenir. La vieille droite et le Parti radical entraient dans des stratégies d’alliance. Surtout, l’ensemble de ces acteurs n’ont jamais été hégémoniques dans le champ local. Or pour la première fois de notre histoire, nous semblons assister aujourd’hui à une coupure nette entre champ politique local et national. Les dernières élections nationales ont vu la marginalisation des vieux partis structuraux de la Ve République, le PS et LR. Pourtant, ces derniers peuvent se targuer d’une série de victoires récentes. Incontestablement, ils ont remporté les élections régionales, départementales et municipales de 2020 et 2021. Ils tiennent et tiendront donc, de façon hégémonique, les collectivités pendant encore de nombreuses années. Les prochaines régionales et départementales auront lieu après l’élection présidentielle… de 2027. Alors que l’espace politique national semble, pour l’instant, dominé par LFI, LREM et le RN, ces derniers ne détiennent aucun département, et presque aucune commune. LREM seule peut se targuer du ralliement d’un président de région : Renaud Muselier.
La suppression du corps préfectoral ouvre la voie à une plus forte politisation des préfets et donc à une défiance accrue entre cet acteur clé et les élus.
Les conséquences de cette scission entre les deux champs politiques ne se bornent pas à des considérations politiciennes et partisanes. Elles s’accompagnent d’une évolution en profondeur du rapport entre local et national. L’affaiblissement pendant des années des services déconcentrés de l’État a fragilisé le dialogue entre ces deux acteurs majeurs de notre vie démocratique. Certes, le gouvernement semble avoir pris conscience de la nécessité de remettre sur pied l’État territorial. Mais de front, il a supprimé le corps préfectoral, ouvrant la voie à une plus forte politisation des préfets et donc à une défiance accrue entre cet acteur clé et les élus. Les préfets pourront en effet être plus aisément nommés par l’exécutif dans un vivier large, rendant leur opinion politique plus importante que leurs compétences.