DOSSIER

Parcs et jardins urbains : de nouvelles perspectives fleurissent

Isabelle Friedman
Isabelle FRIEDMANN
Publié le 27 mars 2025

Entre besoin accentué de nature et nécessaire adaptation de la ville au réchauffement climatique, l’attention portée aux parcs
et jardins urbains se renforce. Élus, urbanistes et paysagistes prennent désormais en compte de nouvelles exigences, sociales, sanitaires, environnementales.

Temple de la contemplation, le jardin à la française façon XVIIe siècle est un lieu de promenade, de flânerie, d’observation. Les arbres, la flore, l’eau, tout y est ordonné, canalisé. Y compris la place du public, cantonné à des allées tracées au cordeau. S’ils ont évolué, en autorisant par exemple l’accès saisonnier à leurs pelouses, les jardins des Tuileries et du Luxem­bourg témoignent de cette conception paysagère, voire muséale, avec statues et fontaines somptueuses.

Des parcs à vivre

Loin de ces parcs-musées, la priorité aujourd’hui est de favoriser l’appropriation des espaces verts par les habitants. « Dans les nouveaux jardins, les attentes en termes d’usage ont complètement évolué, analyse Patricia Pelloux, directrice adjointe de l’Apur (Atelier parisien d’urbanisme). Les pelouses sont dès le départ conçues pour être accessibles, car il y a un besoin de contact plus direct avec la nature, même avec le sol. » S’allonger sur le gazon pour bouquiner ou y retrouver des amis pour pique-niquer aux beaux jours, les jardins répondent à des attentes individuelles, ainsi qu’à des demandes collectives.

Les opportunités sportives sont aussi maintenant intégrées dès le départ, à travers l’installation de terrains de sport, d’agrès, de parcours de santé. « Le parc Martin Luther-King, dans le 17e arrondissement de Paris, a marqué un moment clé, considère Patricia Pelloux. Sport et nature ne sont plus dissociés, il y a moins de clôtures, les espaces de skate ou de jeu sont moins isolés. »

L’arrivée du Wi-Fi et l’accès à la 5G rendent également les parcs plus attractifs, y compris pour un public jeune. Ils favorisent par conséquent le lien social et intergénérationnel, même si les différentes catégories d’usagers – actifs connectés, retraités, enfants à la sortie de l’école, familles… – fréquentent les espaces à différents moments de la semaine et de la journée. L’adaptation des horaires d’ouverture contribue d’ailleurs au succès des espaces verts, avec, par exemple, quand la canicule frappe, l’ouverture nocturne l’été de certains parcs urbains, chose inimaginable il y a quelques années.

Ces évolutions résultent en partie des concertations qui sont désormais menées à chaque création ou restructuration de parcs (voir les exemples présentés pages 56 à 60), tant pour les grandes opérations que pour les plus modestes. Car la multiplication des espaces, de toutes tailles, fait aussi partie des caractéristiques actuelles.

Grands espaces et jardins de proximité

En effet, la répartition des espaces verts dans la ville évolue, avec à la fois un éclatement des parcelles végétalisées et la création de continuités paysagères. « On constate que le Covid a été un accélérateur de tendance, analyse Patricia Pelloux, entraînant un besoin de nature, à une échelle de proximité. » En découle l’apparition de « rues jardins », de rues aux écoles ou la création de parcs de quartier. Sur de petites surfaces, ces espaces réunissent la palette des différents usages, avec des jardins partagés, des espaces sportifs, des aires de jeux… Pour répondre à cette exigence de proximité, certaines collectivités se fixent même des objectifs chiffrés : 10 m2 d’espaces verts par habitant ou un parc à 10 minutes de chaque foyer. À Bonneuil-sur-Marne (94), outre la volonté de planter un arbre par habitant, de créer un grand parc et une oasis urbaine, c’est une liaison douce entre l’ensemble des parcs et espaces naturels qui se dessine jusqu’à la Marne en contrebas.

L’aménagement d’anciens lieux de passage en lieux de vie, avec une présence accentuée de la nature, témoigne de cette tendance, comme à Paris, avec la métamorphose en cours des portes – comme la porte Maillot – en places, accessibles aux piétons et cyclistes, pour circuler et s’arrêter. L’appro­priation immédiate de tous ces petits espaces ne signifie pas pour autant que les habitants délaissent les grands parcs. Les deux échelles sont complémentaires tant en termes de rapport à la nature que d’espaces de socialisation ; elles sont, dans les deux cas, très appréciées par des urbains bien décidés à vivre en ville différemment.

La reconquête des fleuves

Le renouveau des berges constitue une autre forme de lien avec la nature, très en vogue dans les grandes villes, en France et à l’étranger. À Paris, les berges de la rive gauche de la Seine, autrefois royaume de la voiture, sont très fréquentées, pour des balades qui offrent de belles vues sur la capitale, pour courir, pratiquer le yoga en plein air, participer à des cours de salsa, prendre un café… À Rouen, si la transformation des quais de la rive gauche a pris des années, le résultat est plébiscité par les Rouennais. Le succès de l’Armada de la Liberté en 1989 est à l’origine du projet : « Cet évènement a fait prendre conscience de l’importance du fleuve pour la ville, rappelle Bertrand Masson, directeur de l’Aménagement et des grands projets à la métropole Rouen Normandie. Dans les années 2000, nous avons donc commencé par une intervention légère, mais pionnière, sur les quais rive droite, en réhabilitant les hangars existants. Le succès a été au rendez-vous. Pour la rive gauche, nous avons voulu aller plus loin, pour profiter d’un potentiel énorme. La ville de Rouen est plutôt minérale, on avait besoin de ramener de la nature en ville, d’autant que la connexion avec l’eau décuple ce rapport à la nature. » Mais, rive gauche, le challenge est différent, car les quais bas créent une coupure et, à l’ouest, la presqu’île Rollet, ancienne île au charbon, est délaissée. C’est pourtant là que s’est ouverte, en 2013, la première section des quais réhabilités. Aujourd’hui, ils déploient un jardin linéaire de 3,5 km, très végétal. « La fréquentation est au rendez-vous, se réjouit Bertrand Masson. Les gens viennent courir, se poser, flâner, gratuitement. Cet espace a par ailleurs créé une nouvelle centralité, dans une ville scindée entre sa rive droite, patrimoniale et bourgeoise, et sa rive gauche, industrielle et populaire. Enfin, cet aménagement, plusieurs fois primé, est de plus en plus utilisé comme une image de Rouen, il représente une certaine modernité. Ce n’était pas la cible, mais on en est très contents ! »

L’importance des continuités écologiques

La multiplication des parcs, quels que soient leur taille et leur emplacement, en centre-ville, en bord de fleuve, en périphérie, remplit enfin un rôle sanitaire et écologique dont les pôles urbains ne peuvent plus faire l’économie. De nombreuses études montrent que la présence de la nature réduit le stress, offrant aux individus les conditions d’un meilleur équilibre psychique et somatique. Les citadins, qui ont bien conscience des effets de la nature sur leur bien-être, en redemandent !

Au-delà de cette fonction immédiate, les parcs et jardins, régulateurs thermiques, puits de carbone, réservoirs de biodiversité, sont devenus des outils clé des politiques d’urbanisme qui cherchent à adapter la ville au changement climatique. « Il faut être capable de végétaliser plus et mieux pour que la ville reste vivable », affirme Philippe Clergeau, professeur émérite au Muséum national d’Histoire naturelle, chercheur et consultant en écologie urbaine. En période de canicule, tout particulièrement : « Le seuil de mortalité en cas de canicule est très précis, informe Philippe Clergeau. Faire bouger ce seuil d’un à deux degrés va augmenter ou stabiliser des formes de mortalité. Or, plusieurs travaux menés en France et en Allemagne ont démontré que la température pouvait varier jusqu’à huit degrés entre deux boulevards de même type, selon qu’ils étaient plantés ou non. » Conscientes des services rendus par la nature, de nombreuses villes se fixent aujourd’hui des objectifs très ambitieux de plantation d’arbres : 50 000 à Montpellier, 100 000 à Toulouse d’ici 2030, 170 000 à Paris, d’ici 2026…

Renouveler les écosystèmes

Indispensables, ces campagnes de plantation ne sont pourtant pas suffisantes : « Tout le monde a compris qu’il fallait planter pour tous les services que les arbres rendent, en matière de santé, de pollution, de gestion de l’eau, mais il faut aller plus loin, avoir une approche plus globale, prévient Philippe Clergeau. Il faut sortir du paysagisme esthétique pour aller vers un paysagiste écologique qui prend en compte la structure des sols, les relations entre les espèces, les chaînes alimentaires, pour retrouver la notion d’équilibre écosystémique. » L’attention portée aux continuités écologiques et l’effort de désimperméabilisation des sols vont dans ce sens. « À terme, conclut Philippe Clergeau, il faudrait aller vers la ville régénérative. » C’est-à-dire une ville qui ne serait pas seulement durable, mais qui contribuerait également à renouveler les écosystèmes, sans intervention humaine.

Là où l’urbanisme du XXe siècle avait assuré la place dominante de la voiture et des pots d’échappement, cette perspective de ville régénérative consacre un véritable changement de paradigme, qui redonnerait toute sa place à la trame verte, aux zones naturelles et à la biodiversité en ville. 

Planter, oui mais n'importe comment

Depuis 2017, la loi Labbé interdit l’utilisation des produits phytosanitaires de synthèse par l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics dans les espaces verts, les forêts, les voiries et les promenades accessibles au public. Son application a entraîné des changements de perception de la nature en ville, puisqu’il faut désormais s’habituer aux herbes folles. Mais c’est aussi tout simplement le changement climatique et les pénuries d’eau qui ont fait évoluer les comportements : les choix d’essence évoluent, vers des plantes locales, de préférence vivaces, pour prendre en compte le climat, la contrainte hydrique, l’épaisseur de la terre ; et réduire l’intervention humaine. Les techniques de plantation méritent, enfin, d’être questionnées : « Il faut éviter les fosses, faire plutôt de grandes tranchées, indique Philippe Clergeau, professeur émérite au Muséum national d’Histoire naturelle. Les arbres ont besoin de place et de contacts les uns avec les autres, cela garantira la pérennité de la plantation et facilitera la récupération d’eau de pluie. »

Un arbre au mètre carré

Quant à ces forêts urbaines qui font leur apparition en ville, comme place de Catalogne à Paris, Philippe Clergeau alerte sur leurs effets pervers : « Certes, ça pousse très bien, très vite, c’est esthétique et ça impressionne, reconnaît le chercheur, mais on n’a pas besoin de cette densité de 3 à 4 arbres par m2, un arbre tous les m2 suffit ; d’autant que l’on constate une mortalité importante dans les 4 à 5 ans. » Ces aménagements, coûteux, exigent par ailleurs beaucoup d’eau.

Les paramètres à prendre en compte pour concilier urbanisme, paysage, protection de la biodiversité et de l’environnement, qualité de vie en ville sont donc nombreux. Pour aider les collectivités à faire les bons choix, le Cerema a conçu Sésame, une application dédiée aux « Services écosystémiques rendus par les arbres, modulés selon l’essence ».

À consulter sur sesame.cerema.fr.

Les idées germent aussi dans les campagnes

Le besoin d’espaces naturels partagés et conviviaux se fait également ressentir dans le monde rural ! Un étang, une berge de rivière, un chemin à réhabiliter… autant d’occasions saisies par des communes pour réaménager l’espace et le mettre à disposition des habitants. Le village de Trévé, dans les Côtes-d’Armor, a réhabilité l’étang de Pont-du-Bien en 2023. Situé au nord-ouest du bourg, cet étang avait subi une baisse de niveau en 2020 en raison d’une fuite. Les travaux de réhabilitation ont permis de rendre le site accessible à tous, notamment aux personnes à mobilité réduite, grâce à un chemin piétonnier aménagé par la commune. L’étang est également devenu un lieu prisé pour la pêche. À Maisonnais, dans le sud du Cher, la réhabilitation de l’étang communal de La Courzette et des parcelles de prairie attenante a permis de transformer les berges en espace familial et convivial avec des aires de pique-nique et de barbecue. Grâce à la création d’un parcours en caillebotis, le site propose une promenade paysagère à travers une zone humide riche en biodiversité, avec des panneaux pédagogiques et deux magnifiques vaches Highlands Cattle qui font le plaisir et l’étonnement des visiteurs.

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