— Quel bilan faites-vous des politiques industrielles qui se sont succédé depuis l’après-guerre ?
Claude Serfati : Dans une première période, les politiques industrielles volontaristes ont pu trouver leur chemin, puisque l’ouverture internationale était maîtrisée et limitée, même si elle était croissante. Les politiques gaullistes, avec forte impulsion étatique, ont permis de créer des champions nationaux.
Mais ils ont été l’arbre qui cachait la forêt. Car ces politiques n’ont développé la base industrielle proprement dite que dans quelques secteurs. La sélection des secteurs – l’aéronautique, le nucléaire… – a été déterminée par des besoins stratégiques ou militaires.
La seconde période est caractérisée par l’ouverture des économies à l’échelle internationale, dans les années 1980. C’est dans celle-ci que s’est inscrite la construction européenne. Les politiques volontaristes ont été abandonnées ou marginalisées.
Et des biais sont apparus en faveur du marché, d’un désengagement de l’État, d’où son désintérêt pour les politiques industrielles. De plus, l’acceptation des politiques européennes a un peu plus miné la politique industrielle française.
Catherine Sauviat : La construction de l’Europe, avec le marché unique, la mise en place de l’euro, a pénalisé de manière durable la compétitivité-coût des entreprises qui ne peuvent plus la restaurer par des dévaluations monétaires. Les ajustements vont être faits par une pression sur les salaires.
D’où, à partir des années 1990, une politique d’allègements des cotisations sociales, de défiscalisation, qui devient une constante des politiques industrielles. Or, un dispositif comme le CICE [crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi], par exemple, a peu profité à l’industrie et aux entreprises exposées à l’international mais plutôt à des secteurs à bas salaires.
Le montant cumulé des aides est considérable pour une efficacité relativement limitée (peu d’emplois créés ou sauvegardés et souvent de faible qualification).
Pour revenir sur les politiques industrielles de l’après-guerre, j’ajouterai qu’elles n’ont pas apporté de soutien à une industrie pourtant fondamentale du fait de son pouvoir structurant sur le reste de l’appareil productif, la machine-outil. C’est un biais qui a laissé des traces.
C. Sauviat : La production de machines-outils et de robots est essentielle pour les autres secteurs industriels. Or, la seule tentative véritable de construction de ce secteur a été celle du gouvernement Mitterrand / Maurois en 1981-82.
« La France perd du terrain dans l’innovation en Europe. Elle se confine à une terre d’accueil des activités de recherche & développement, mais pas des activités de production. »
Mais la réalisation du « plan machine-outil » a été confiée à quelques grands groupes de l’aéronautique, de l’automobile (Renault et Peugeot) et des télécoms (Alcatel) qui s’en sont en fait complètement désintéressés. La France est aujourd’hui dans une situation désastreuse, par rapport à l’Allemagne et l’Italie.
— N’assiste-t-on pas à un retour de la politique industrielle ?
C. Sauviat : Il y a un regain d’intérêt, un peu dans tous les États. C’est une prise de conscience qui date de la crise économique et financière de la fin des années 2000. Cela s’est traduit par un certain nombre de dispositifs qui ont permis de stabiliser le processus de désindustrialisation. Mais on était descendu bien bas.
Cela étant, cette politique industrielle renaissante perpétue un certain nombre de biais structurels. D’une part, la focalisation sur les grands groupes, alors qu’ils ont largement participé à la désindustrialisation du pays en privilégiant les investissements directs à l’étranger. D’autre part, une juxtaposition de dispositifs – coûteux...