— Après la dissolution de l’Assemblée nationale en juin dernier, le sentiment de désordre institutionnel est fort. Quel regard portez-vous sur la période ?
Gérard LARCHER : Je porte trois regards sur cette situation : une certaine gravité, une inquiétude et une forme d’optimisme raisonnable. D’abord, une analyse empreinte de gravité. Car la dissolution impromptue, qui a été décidée par le président de la République seul, a plongé le pays dans une crise politique.
Certes, nous avons connu une trêve politique estivale grâce à la réussite des Jeux Olympiques et Paralympiques. Je l’avais moi-même souhaitée ! Néanmoins, il a fallu près de 80 jours pour nommer un nouveau gouvernement. Nous avons été confrontés à un risque réel de blocage du pays. Le choix de cette dissolution était hasardeux. Je ne l’ai pas compris.
Désormais, un Premier ministre est nommé : Michel Barnier. Il a constitué un gouvernement. Et les urgences sont là. La situation budgétaire de notre pays est très inquiétante. Elle est d’ailleurs plus grave que ce qu’annonçait le précédent gouvernement.
« Nous avons une responsabilité vis-à-vis du pays. Nous devons redonner aux Français des perspectives financières crédibles. L’intérêt national doit l’emporter. »
Notre déficit atteint 6 points de PIB. La crise sanitaire liée au Covid-19 ne peut pas justifier un tel dérapage. Nous supportons 900 milliards d’endettement supplémentaires, ce n’est pas le cas dans les autres pays qui ont pourtant eu, eux aussi, à subir la crise sanitaire. Je regrette que la réalité de la situation ne nous ait pas été présentée dans sa totalité par le gouvernement précédent.
Au Sénat, nous sonnions l’alarme depuis près de trois ans. Afin d’infléchir cette trajectoire, nous avions demandé, à l’occasion du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, plus de 37 milliards d’euros de réduction des dépenses publiques. Ils n’avaient pas été acceptés par le président de la République.
Cette situation appelle des efforts. Le nouveau Premier ministre a d’ailleurs été clair et annoncé 60 milliards d’euros d’effort. Deux textes serviront de véhicule pour réaliser ces économies. D’abord, le projet de loi de finances pour 2025, puis le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Rappelons que la France détient la médaille d’or de la dépense publique et la médaille d’argent en matière de prélèvements obligatoires. Nous devons sortir de ce triste podium.
— Pensez-vous qu’il faille utiliser l’article 49-3 pour voter ce budget ?
G. L. : Concernant les débats parlementaires, ce trimestre, nous aurons une première phase essentiellement axée sur l’examen du budget et son vote. Le Sénat s’y est préparé. Les 80 jours de latence institutionnelle n’ont pas été mis en jachère au sein de la chambre haute.
Au Sénat, nous aurons un débat sans détour. D’une part, car nous disposons d’une majorité sénatoriale large et élargie du fait de la nouvelle composition du gouvernement. D’autre part, car nous avons une responsabilité vis-à-vis du pays. Nous devons redonner aux Français des perspectives financières crédibles. L’intérêt national doit l’emporter.
« Il a fallu près de 80 jours pour nommer un nouveau gouvernement. Nous avons été confrontés à un risque réel de blocage du pays. Le choix de cette dissolution était hasardeux. »
Au sujet de l’article 49-3, qui ne concerne que l’Assemblée nationale, il s’agit d’un outil nécessaire mais qui doit rester exceptionnel. Il permet aussi d’assurer une forme de stabilité gouvernementale en évitant les blocages mais peut être perçu comme une volonté de museler le débat parlementaire.
— Sur le plan institutionnel, pensez-vous que nous sommes arrivés au bout de la Ve République ?
G. L. : Je nourris une forme d’optimisme raisonné et raisonnable. La France dispose à présent d’un Premier ministre. Je le connais. Il fallait quelqu’un de cette trempe face aux épreuves qui nous attendent. Il a ma confiance.
Je pense que la Ve République est solide. Elle l’a démontré à plusieurs reprises. Elle débute dans la crise algérienne. Elle a traversé des crises économiques, politiques, la cohabitation. Aujourd’hui, il s’agit d’une forme de coexistence, car il n’y a plus de majorité à l’Assemblée nationale.
La Constitution de la Ve République a permis de faire face, grâce au bicamérisme qui est un gage de stabilité et de continuité. Certes, il n’existe pas de majorité à l’Assemblée nationale, mais il y en a une au Sénat. La Ve République permet cette plasticité. Je ne crois pas que les solutions se trouveront dans des bouleversements constitutionnels ou institutionnels !
— Dans ce cas, d’où doivent venir les solutions ?
G. L. : D’abord, il faut plus de proximité avec les Français, dans les politiques menées. Nous devons aussi retrouver une pratique moins verticale du pouvoir. Respectons l’article 20 de la Constitution : « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation ».
« D’abord, il faut plus de proximité avec les Français, dans les politiques menées. Nous devons aussi retrouver une pratique moins verticale du pouvoir. »
...