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Commerces en centre-ville : pourquoi le rideau tombe

Habitat, Camaïeu, Minelli… Les fermetures de nombreuses enseignes heurtent de plein fouet les politiques de revitalisation conduites dans les centres-villes. Les villes moyennes sont les premières touchées, mais les métropoles n’échappent pas à ce phénomène complexe entre mutation des modes de consommation, aménagement urbain et recherche du profit à tout prix.
Bruno LAFOSSE
Publié le 4 septembre 2024

Le jugement tombe sec et sans appel : « Le maintien d’une stratégie favorable aux consommateurs est incompatible avec le retour du commerce de centre-ville ». Sous la plume de Patrick Artus, dans une chronique du quotidien Le Monde, le verdict est propre à désespérer ces maires qui n’en finissent pas de compter les rideaux de fer baissés comme autant de signes de la déchéance de leur ville. Il est vrai que cet éminent économiste, conseiller économique du groupe Natixis, fonde son analyse sur la volonté du client de se ruer sur le meilleur marché, quitte à en passer par le commerce en ligne.

De fait, les rideaux sont tombés sur beaucoup de vitrines, y compris les enseignes qualitatives et les commerces de bouche, souvent chassés des centres urbains. Au point que la vacance commerciale, toutes villes confondues, se chiffre à 10 % en moyenne nationale avec des pics qui frôlent les 30 % dans des agglomérations de taille moyenne. Et les métropoles n’y échappent pas. Si le taux moyen à Paris est de 10,4 %, certains axes, tels l’avenue de l’Opéra (18 %), la rue de Rivoli (12 %) ou le boulevard Saint-Michel (18 %), tutoient désormais les gloires décaties.

Effet domino

Sur le banc des accusés, on trouve pêle-mêle les galeries marchandes qui ont poussé à la périphérie des villes moyennes, la pandémie, le commerce en ligne et la chasse ouverte à la voiture. On peut y ajouter les enseignes défuntes (Camaïeu, Burton of London, San Marina, Habitat, Minelli) ou en sursis, contraintes de réduire la voilure (André, Kookaï, Naf Naf, Princesse tam.tam, Celio…). Toutes consacrées à l’équipement de la personne et qui généraient un flux de clientèle. L’effet domino est donc à craindre. « Si le commerce du textile a crû en volume, il a perdu en valeur et ses marges se sont réduites. On a donc multiplié les magasins pour compenser », diagnostique Emmanuel Le Roch, délégué général de Procos, la Fédération pour la promotion du commerce spécialisé.

La vacance commerciale frôle les 30 % dans certaines villes moyennes, avenue de l’Opéra à Paris, c’est 18 %

Le tournant a été pris dans les années 1980, bien avant qu’Internet investisse les foyers. « À partir des années 1960-1970, l’essor de la grande distribution et ses hypermarchés a accompagné l’étalement urbain et la création de lotissements. Puis, avec le phénomène de périphérisation de la décennie suivante, le centre-ville n’était plus incontournable », constate le sociologue Vincent Chabault, professeur à l’Université Gustave Eiffel et auteur de Éloge du magasin (Gallimard). Bien des maires de l’époque ont été aveuglés par les rentrées fiscales, sans autre souci des lendemains qui allaient déchanter.

Le commerce en ligne renforcé

La pandémie et ses trois confinements n’ont rien arrangé. Jugé « non essentiel », le commerce de l’habillement a été indemnisé par l’État. À l’exception des chaînes de magasins en redressement judiciaire, ce qui a précipité leur chute. Ensuite, force est de constater que les taux de vacance se sont améliorés dans la période post-Covid. Le Covid a fait davantage de dégâts dans les centres commerciaux dont la vacance est passée de 11,8 % en 2019 à 14 % en 2022. En revanche, cette pandémie a renforcé le commerce en ligne venu combler les frustrations en conquérant 16 % des ventes du textile et 20 % du marché du livre.

Les politiques de limitation de la voiture ne prennent pas toujours en compte les réalités démographiques. « Les métropoles ont des transports en commun. Des villes moyennes qui se sont développées extra-muros ont un problème de voiture. Personne ne s’oppose à la piétonnisation, encore faut-il pouvoir se garer à proximité des zones de chalandise », souligne Emmanuel Le Roch. Denis Thuriot, maire de Nevers, s’est engagé dans une politique volontariste à cet égard, quitte à ébrécher le dogme. La ville qui a perdu le tiers de sa population depuis 1970 est commercialement sinistrée. Il a donc mis en place un système de stationnement gratuit et facilité un accès routier au cœur de ville. Résultat : si la vacance commerciale reste élevée, elle régresse.

Le maire peut agir

Le rôle du maire est fondamental. Dans la dimension spectaculaire, la ville d’Arras (62) a fait chuter son taux de vacance de 17 % à 7 % en jouant de l’embellissement de la ville, de la rénovation d’un parcours pour les clients et en instaurant des navettes électriques gratuites. À Moulins (03), la mairie propose une aide financière pour favoriser les ouvertures commerciales attractives pour les consommateurs. C’est ainsi qu’ont été retoqués les projets d’installation en hypercentre présentés par des banques (dont les succursales ferment également), des compagnies d’assurance et des agences de voyages. « S’il réussit à réunir toutes les composantes de l’achat plaisir (commerces, artisans, activités culturelles et de loisirs), il n’a pas à redouter une dévitalisation. Il existe chez les élus une peur du maire bâtisseur. Celui qui densifie sa ville en suivant les principes de l’attractivité globale de sa municipalité n’a pas à craindre pour sa réélection. La densité n’est pas le reproche adressé aux maires battus. Celui d’une ville qui se meurt, oui », énonce Jean-Loup Metton, ancien maire de Montrouge, qui en a fait la démonstration dans sa ville au début des années 2000. De quoi redonner de l’espoir et des raisons d’agir. 


Boutique à l’essai : l’éphémère devient pérenne

C’est parti en 2013 d’un appel du maire de Noyon (12 000 habitants, aux confins de l’Oise et de l’Aisne) à Olivier Bourdon, directeur d’Initiative Oise. Un maire inquiet des vitrines vides qui attristaient les rues de son centre-ville. De là est née une idée toute simple qui consistait à réunir un édile responsable du commerce, le bailleur d’un espace libre, un banquier et un candidat porteur d’un projet. À l’édile de convaincre le bailleur de réduire son loyer pour une durée déterminée, au banquier de consentir un prêt à taux zéro et au candidat de défendre son projet et d’apporter l’équivalent du prêt. Ainsi sont nées les Boutiques à l’Essai, un concept parti à la conquête de la France de Roubaix (59) à Aubagne (13) en passant par Laval (53), Barcelonnette (04) et Cayenne en Guyane ! Le principe consiste à louer avec un bail de six mois, renouvelable une fois, avec un loyer modéré, assorti de conseils et d’une assistance comptable, des cellules commerciales en jachère. Des trois boutiques ouvertes à Noyon en 2013, il en subsiste deux. L’année suivante a marqué une montée en puissance au rythme de 15 nouvelles demandes par an au point d’atteindre 200 boutiques ouvertes depuis l’origine du projet et un taux de réussite de 80 % au-delà de l’année d’essai. Avec une déclinaison en « Mon resto à l’essai », fonctionnant sur un modèle identique.

Fédération nationale des Boutiques à l’Essai

https://www.maboutiquealessai.fr

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