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Lauréline Fontaine « La Constitution, éternel enjeu de pouvoir »

Lauréline Fontaine est professeure de droit public et constitutionnel à l’université Sorbonne Nouvelle. Elle anime un site de « réflexion sur la pensée juridique et politique contemporaine » (ledroitdelafontaine.fr). Elle explore les évolutions et le rôle des constitutions dans les sociétés contemporaines. Et s’interroge sur les limites qu’elles sont censées imposer aux pouvoirs qu’elles instituent.
La rédaction
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Publié le 30 juillet 2024

Qu’est-ce qu’une constitution ? Quel est son rôle ?

Lauréline Fontaine : Techniquement, la constitution est un texte qui règle la manière dont le pouvoir politique va s’exercer. Quels sont les organes (y a-t-il un président, comment est constitué le parlement, etc.) ? Comment sont-ils désignés ? Comment peuvent-ils agir, par quel type de procédure ? Comment peuvent-ils éventuellement s’empêcher les uns les autres ?

Ce cadre organique est néanmoins pensé dans un cadre philosophique : des droits et libertés – qu’il appartient à chaque pays de déterminer – sont ainsi reconnus comme devant limiter l’action des politiques, ou représenter leur horizon.

Par exemple, pour la France, selon les dispositions du préambule de la Constitution de 1946 (toujours en vigueur), la nation doit assurer des moyens convenables d’existence pour celui qui ne peut pas travailler en raison de son âge ou de sa maladie. De la même façon, en suivant la déclaration de 1789, la liberté individuelle d’aller et venir limite le pouvoir d’intrusion de l’État. L’exercice du pouvoir politique, réglé par la Constitution, se fait ainsi dans le cadre d’une organisation sociale et de principes auxquels une société adhère.

« Il faudrait parvenir à faire de la constitution un sujet d’intérêt public »

Voilà pour la théorie, car, en fonction des époques et des lieux, ce texte constitutionnel est plus ou moins bien appliqué. Et le problème aussi est que, la plupart du temps, ses dispositions ne sont pas comprises de la même manière par le corps politique que nous sommes, par les différents membres de la classe politique ou par les experts. Par exemple, dans plusieurs pays de l’Afrique contemporaine, les oppositions politiques ont en général une conception de la constitution très différente de celle des pouvoirs en place. La Constitution est ce que j’appelle un lieu concurrentiel. Il s’agit, pour les uns et les autres, de revendiquer le bénéfice de ses dispositions pour pouvoir agir dans un sens ou dans un autre. En France, à ce jeu-là, il y a depuis quelques décennies un grand gagnant, c’est le pouvoir exécutif.

On sacralise souvent la Constitution. Ce qui y est écrit serait gravé dans le marbre. Est-ce si simple ?

L. F. : Il y a deux idées dans cette question. D’une part, l’inscription de quelque chose dans la Constitution est-elle une réelle garantie ? Et d’autre part, la garantie est-elle permanente ? Sur le premier point, la chose n’est pas si entendue. La valeur des dispositions constitutionnelles est assez différente selon les cas. Une disposition telle que « le président de la République est élu au suffrage universel direct » est très effective : il n’y a pas de problème, elle est appliquée. En revanche, si l’on dit que « Tout être humain », en fonction des circonstances, « a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence », on peut déjà un peu plus s’interroger sur l’effectivité de cette disposition.

Il y a dans une constitution des dispositions qui sont de nature à susciter notre adhésion à ce texte : on ne peut évidemment que se réjouir de voir proclamer l’égalité entre tous, la liberté d’aller et venir, le droit à un emploi, la protection de la santé, etc. Mais, si on y adhère, cela ne signifie pas que toutes ces dispositions sont effectives. Leur réalité sociale dépend des conditions générales de l’organisation sociale, et de la bonne volonté des pouvoirs qui ont été institués par cette même Constitution.

« En fonction des époques et des lieux, le texte constitutionnel est plus ou moins bien appliqué »

La question de la permanence de la garantie se pose aussi, symbolisée par l’idée de « marbre ». Les débats récents à propos de la liberté d’avorter ont montré qu’existait une forte croyance en une forme de garantie presque définitive,...

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