Articles divers, DÉBAT

Le grand mépris

Benjamin MOREL
Publié le 4 juillet 2024
Pour le politologue Benjamin Morel, c’est une forme de mépris du président de la République à l’égard des élus locaux et des corps intermédiaires qui caractérise la séquence politique qui vient de s’écouler. À l’heure où cette tribune est rédigée, les résultats définitifs ne sont pas encore connus, mais la méthode employée pour dissoudre l’Assemblée nationale porte en elle une défiance et nécessitera de rebâtir des liens de confiance entre pouvoir central et collectivités locales.

Le 9 juin dernier, à 21 heures, le Président de la République a prononcé la dissolution de l’Assemblée nationale. Cet acte a surpris tout un chacun, rebattant les cartes politiques des prochaines années. Habile ou malheureux, ce coup politique s’est fait dans le mépris des élus locaux, et notamment des maires, qui ont dû, en trois semaines, organiser le scrutin alors que nous sortions d’une autre campagne et que, pour beaucoup, se profilaient la saison touristique et les jeux Olympiques.

Si l’intendance a suivi, ce fut encore au prix du dévouement d’édiles chargés de mettre en musique une querelle politique ourdie dans les couloirs élyséens. In fine, ce sont pourtant bien les élus locaux qui endossent la responsabilité de la bonne tenue d’un scrutin sous tension. Un scrutin sur fond de guerre civile en Nouvelle-Calédonie. Un scrutin où une partie des électeurs n’a pas eu le temps de s’inscrire à cause d’une date limite très précoce fixée par décret présidentiel.

Un scrutin où se sont multipliées les procurations, rendant encore plus compliquée la gestion. Un scrutin où les assesseurs ont été de plus en plus difficiles à recruter. Grand mépris pour ceux chargés de faire vivre la démocratie au plus près du terrain, même pas considérés dans le calcul présidentiel.

Habile ou malheureux, ce coup politique s’est fait dans le mépris des élus locaux, et notamment des maires, qui ont dû, en trois semaines, organiser le scrutin

Le grand mépris, c’est aussi celui du travail législatif engagé sur les élus locaux. Alors que venait d’être remis le rapport d’Éric Woerth qui posait enfin la question de la marge de manœuvre normative et financière des élus, voici encore un travail mis à la corbeille. Il est probable que les idées émises attendront encore bien des années avant de pouvoir se concrétiser et que les velléités de décentralisation annoncées par le chef de l’État se soient alors évaporées avec sa majorité.

Pire encore, dans sa conférence de presse du 12 juin dernier, le président n’en a pas parlé, sauf pour aller à l’encontre de ses conclusions en proposant de rouvrir le chantier du découpage des régions. Que penser encore de la proposition de loi adoptée le 7 mars au Sénat et proposant de mettre en place un vrai statut de l’élu local ? Elle aussi a été dissoute avec l’Assemblée.

Plus grave, le projet de loi constitutionnel relatif à la Nouvelle-Calédonie, dont on sait les émeutes qu’il a suscitées, est lui aussi à présent évaporé avec les députés qui l’avaient voté. Aucune réforme en la matière ne pourra être entamée avant septembre et nécessitera un nouveau vote conforme des deux chambres. En d’autres termes, il devrait être impossible d’organiser un scrutin à l’hiver. Si aucune élection n’a lieu avant l’été prochain, alors l’archipel au bord de la guerre civile pourrait être privé de pouvoir élu légitime.

Une République clivée depuis 2017

Le grand mépris, c’est enfin celui des états-majors politiques qui, pris dans l’urgence d’élections qu’ils n’avaient pas vues venir, ont d’abord pensé à sauver leurs députés. L’alliance à gauche s’est faite d’abord entre groupes parlementaires, sous pression de l’opinion. La partie du programme du nouveau Front populaire concernant les élus est floue et montre un manque de vision sur le sujet. La répartition des circonscriptions tient peu compte de l’ancrage des élus et les candidats investis sont rarement ceux voulus et souhaités par les élus de terrain.

À droite, l’alliance d’Éric Ciotti avec le RN marquerait, s’il devait rester aux commandes de LR, une rupture avec l’immense masse des élus locaux qui la refusent et dont s’est fait écho la condamnation unanime du groupe LR du Sénat. Il pourrait donc bien y avoir demain deux droites, un groupe allié au Rassemblement national et des élus locaux contestant une telle voie. Dans tous les cas, y compris dans les partis dont ils représentent la force, les élus locaux n’ont pas compté dans l’équation.

Depuis 2017, la République est clivée. Jamais encore le champ politique national et le champ politique local n’avaient été aussi étanches. La faute à la fin du cumul des mandats ? Peut-être un peu. D’ailleurs, l’Assemblée nationale avait lancé sur ce sujet une mission d’information, désormais, elle aussi, aux oubliettes. Toutefois, c’est surtout le manque de dialogue entre les deux champs qui est à souligner.

Pour la première fois, les partis dominant le parlement n’ont que très peu d’ancrage local ; que ce soit le RN, LFI ou les macronistes. De leur côté, les partis dominant le champ local, socialistes et républicains notamment, sont faibles à l’Assemblée. Même eux, clivés en leur sein, ne parviennent plus à représenter une courroie de transmission efficace. D’année en année, se sont ainsi accrus l’aigreur, le mépris et l’indifférence.

Le nouveau pouvoir est enfant de la défiance et sa légitimité ne tiendra qu’à un fil. Il devra entendre que sans le maillage de terrain et la remontée d’informations par les édiles, toute politique est aveugle.

Quelle que soit la configuration de cette nouvelle législature, elle doit à présent reconstruire la confiance avec les élus locaux. Le nouveau pouvoir est enfant de la défiance et sa légitimité ne tiendra qu’à un fil. Il devra entendre que sans le maillage de terrain et la remontée d’informations par les édiles, toute politique est aveugle. Il devra saisir que, devant la crise économique, l’investissement public des collectivités est nécessaire et que la pression sur elles relève du compte d’apothicaire. Il devra comprendre qu’on ne relèvera pas nos services publics malades sans associer ceux qui en sont les architectes et les orfèvres sur le terrain. Il devra entendre qu’on ne réglera pas la crise démocratique sans des maires qui sont peut-être les derniers élus à avoir la confiance de nos concitoyens.

Si la dissolution nous rappelle quelque chose, c’est que nos institutions ne sont pas aussi solides que nous faisons mine de le croire. Si le scrutin européen nous instruit, c’est sur la fragilité de la démocratie aujourd’hui sur le vieux continent. En 1870, les Républicains avaient souhaité faire de la commune la base de la construction politique et sociale qu’est la République. Au moment où l’édifice menace ruine, il serait temps de consolider ses fondations. 

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