— La BEI a pour actionnaire les états membres de l’Union européenne. C’est donc une banque publique ?
Grégoire Chauvière Le Drian : C’est même la plus grande banque publique au monde, plus importante en termes d’activité que la Banque mondiale. Nous avons aujourd’hui près de 600 milliards d’euros d’actifs sous gestion, un bilan exceptionnel avec une qualité du portefeuille remarquable qui nous vaut un « triple A » auprès des agences de notation. Cela repose sur un modèle soutenable, qui forge la construction européenne, mais demeure peu connu des citoyens européens.
— Quels projets la BEI finance-t-elle ?
G. C. L. D. : Nous accompagnons les collectivités territoriales – régions, métropoles, départements, grandes villes… – pour leurs projets d’infrastructures publiques : transport, mobilité urbaine, rénovation urbaine, écoles… Nous finançons également les entreprises. Des grosses, comme Orange, EDF, Enedis, ENGIE, pour leurs programmes de recherche-développement ou d’innovation ; ou des gigafactories de production de batteries pour véhicules électriques (groupe Vercors à hauteur de 600 millions d’euros, Envision à hauteur de 450 millions).
Des entreprises de taille intermédiaire comme Loxam, Forvia, Saint Jean-Industrie, EcoTitanium, des coopératives agricoles comme Sodiaal, les Maîtres laitiers du Cotentin. Des entreprises en forte croissance dont les besoins de financement vont s’échelonner entre 10 et 40 millions d’euros, comme Carmat pour le cœur artificiel, Carbios pour le recyclage des plastiques… Si nous n’accompagnons pas directement des start-ups, nous sommes partie prenante d’un programme de la Commission européenne destiné aux entreprises en amorçage.
— Vous vous appuyez également sur le réseau bancaire ?
G. C. L. D. : Oui, n’étant pas une banque de réseau – il n’y a pas d’agences de la BEI –, nous intermédions une partie de nos ressources pour toucher les PME et les petites entreprises. Nous finançons donc les banques commerciales : BNP, Société Générale, Natexis Banques Populaires… Nous venons de renforcer notre partenariat avec le Crédit Agricole. Nous finançons également les banques publiques, comme Bpifrance et la Banque des territoires, pour qu’elles-mêmes puissent mobiliser l’argent européen sur l’ensemble du territoire.
Enfin, au-delà des prêts, pour les apports en fonds propres, nous investissons dans des fonds qui à leur tour financent en fonds propres des start-ups, dans l’industrie, le changement climatique, la transition énergétique, la tech, l’intelligence artificielle, l’économie sociale et solidaire…
— Pouvez-vous intervenir au profit de villes moyennes, de petites communes ?
G. C. L. D. : Auprès des collectivités territoriales, nous n’intervenons que sur des projets d’au moins 70 ou 80 millions d’euros. Notre interlocuteur naturel, c’est donc la région, ensuite les métropoles. Nous avons accompagné Montpelier et Le Havre pour le tramway, Rouen pour des projets de rénovation énergétique, bientôt Nantes pour un financement sur le transport vert.
En dessous de ce seuil, notre réflexe c’est d’intermédier le financement que nous pouvons apporter, soit avec des banques commerciales, soit avec l’interlocuteur naturel qu’est la Banque des territoires.
Nous finançons cette dernière à hauteur de plusieurs milliards d’euros afin qu’elle investisse sur des projets plus petits que nous ne pouvons pas financer en direct. Par exemple, des bus sur l’île d’Yeu. Pour les petites communes, il peut y avoir des petits projets, de 40 000 euros.
Outre les ressources supplémentaires que cela lui procure, ce partenariat a pour la Banque des territoires un autre avantage. En effet, nous lui prêtons à taux fixe, alors que de son côté, elle mobilise des fonds sur des taux variables. Ce qui lui permet d’offrir aux collectivités locales soit du taux fixe soit du taux variable. C’est une souplesse supplémentaire.
— Les prêts proposés par la BEI sont-ils moins chers que ceux proposés par les autres établissements ?
G. C. L. D. : La BEI est une banque publique dont l’objectif numéro un n’est pas de faire du profit. Ce qui nous guide dans une décision d’investissement, c’est : est-ce que le projet répond à nos objectifs en termes environnementaux, sociaux, en termes de développement du territoire ?
Les taux d’intérêt que nous proposons sont le reflet de notre coût de ressource. Pour nous financer, nous émettons des titres obligataires sur les marchés. Nous émettons environ 70 milliards d’euros de titres par an, et prêtons l’équivalent. Notre triple A nous permet de lever de l’argent peu cher, et nous transférons notre avantage aux bénéficiaires des prêts.
Par rapport à une banque commerciale, nos taux sont a priori plus bas, mais nous ne pratiquons pas d’offre agressive pour aller chercher des clients. Nous sommes là pour financer de façon soutenable des projets qui se veulent durables. Et l’intérêt de notre offre porte également sur les maturités. Nous sommes un acteur de long terme. Pour des collectivités, nous pouvons proposer des financements à 20, 25, voire 40 ans. Nous essayons d’aligner la maturité de nos taux d’intérêt sur la durée de vie économique du projet que l’on finance.
— Au-delà du financement, vous apportez également des conseils ?
G. C. L. D. : Exactement. Nous avons à la fois des chargés d’affaires qui analysent la soutenabilité financière du projet, mais aussi une équipe d’ingénieurs et d’experts qui vont analyser l’ensemble du dossier. Celui-ci peut en effet être soutenable financièrement, mais irrationnel sur le plan économique, avoir un impact environnemental désastreux, ou favoriser la perte d’emplois.
Il y a eu ainsi une mode des tramways. Chaque commune voulait le sien. Nous en avons financé beaucoup : Paris, Bordeaux, Montpelier… Mais pour de petites communautés qui voulaient aussi leur tramway, notre rôle de financier public a été de dire qu’un tel projet n’était pas pertinent, et de recommander par exemple des bus à haut niveau de service (BHNS), qui demandent moins d’entretien, sont moins coûteux en financements au démarrage, et finalement plus soutenables pour la commune. Autre exemple : les routes.
Pour que la BEI finance une route aujourd’hui, il va falloir que l’ensemble des externalités soient très positives. On pourrait toujours financer la route du littoral à La Réunion. Mais pas une autoroute alors qu’il y a une nationale à côté.
Par ailleurs, nous mettons en œuvre, pour le compte de la Commission européenne, le dispositif Elena (European Local Energy Assistance) qui vise à apporter une assistance technique aux projets énergétiques locaux. Les plus petites communes peuvent en bénéficier pour leur transition énergétique. Nous pouvons les conseiller pour définir leur programme d’investissements.
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