— En tant que député de la ruralité, quelle est votre analyse de la situation actuelle ? Assiste-t-on à une crise de l’agriculture ou plus globalement à une crise du monde rural ?
André Chassaigne : Je dirais que les deux se conjuguent. Sur les territoires ruraux, il y a un mal-être qui s’accentue. Chez moi, en Auvergne, on entend de plus en plus les gens dire, pardonnez-moi l’expression : « on vit dans le trou du cul du monde ». Si cette formule revient souvent, c’est pour de multiples raisons. Quand la liaison de chemin de fer entre Clermont-Ferrand et Paris prend en moyenne plus de 3 heures de retard tous les 15 jours et un retard de plus d’une heure tous les 3 jours, quand vous subissez la désertification médicale avec l’angoisse au ventre en recherchant un médecin, forcément vous éprouvez un sentiment d’abandon. Et je pourrais passer en revue toutes les autres difficultés du quotidien. Donc, il y a indéniablement un malaise du monde rural et cela accentue les difficultés des paysans. Cela contribue d’autant plus à la colère des agriculteurs qu’ils sont confrontés à des difficultés spécifiques pour survivre.
— Selon vous, ce sentiment d’abandon a-t-il toujours existé ou y a-t-il eu un moment où les choses ont basculé ?
A. C. : J'utilise souvent le terme de sédimentation. Année après année, des couches successives alimentent et amplifient ce sentiment. Par exemple, les fermetures récurrentes de classes rurales suscitent incompréhension et colère. La fermeture d’une maternité et d’un bloc chirurgical dans un hôpital de proximité, la disparition quasi totale des perceptions qui oblige à se rendre dans les maisons dites France services avec des prestations au rabais, la difficulté des déplacements du quotidien, la flambée du prix des carburants… produisent les mêmes effets.
— Quelles seraient selon vous les mesures les plus urgentes à prendre pour redonner de la vie, redonner de l'espoir à cette France-là ?
A. C. : Nous avons besoin avant tout d’une volonté politique. Soit on considère que la société doit évoluer vers une densification urbaine accrue – et c'est d'ailleurs ce qui apparaît aujourd'hui comme étant un objectif prioritaire –, soit on fait le choix d'ouvrir d’autres perspectives avec des bourgs qui attirent de nouveaux résidents pour leur qualité de vie. On nous parle du réchauffement climatique, de l'artificialisation des sols, des difficultés du périurbain… mais il n’y a pas de volonté politique pour développer les territoires ruraux. Seulement des mots, de la communication sans objectif clair et mise en œuvre planifiée. Considère-t-on qu’il est possible d’avoir des territoires ruraux vivants et attractifs ou tire-t-on un trait sur ces territoires comme lieux de vie, pour ne les maintenir qu’en espaces de production alimentaire ou territoires de tourisme pour urbains annuellement bucoliques à la recherche d’espaces naturels sanctuarisés ? L’INRA avait réalisé, voilà une quinzaine d’années, une étude prospective sur les nouvelles ruralités françaises à l’horizon 2030, formulant quatre scénarios. La question est toujours de savoir quel scénario on retient pour avoir une campagne vivante et quels moyens il faut mobiliser pour y parvenir.
« La question est toujours de savoir quelles hypothèses on retient pour avoir une campagne vivante et quels moyens il faut mettre pour y parvenir »
— Mais justement, une campagne vivante, ça passe par quoi : la production agricole, la production industrielle ? Emmanuel Macron a beaucoup parlé du retour de l’industrie en France, est-ce que vous mesurez les effets de ce discours ?
A. C. : Nous avons dans nos ruralités des industries qui se maintiennent et qui parfois se développent. Souvent, il s'agit de PME qui ont un ancrage historique et familial sur leur territoire. Dans les pays de Thiers et Ambert, nous avons ainsi des entreprises extrêmement dynamiques et qui sont leaders dans leur domaine avec un fort ancrage local, souvent avec un attachement, je dirais sentimental, du chef d'entreprise au territoire où il est...