MARC DUFUMIER
agronome, professeur, émérite à AgroParisTech et auteur notamment de L’Agroécologie peut nous sauver et De la terre à l’assiette.
— Craignez-vous un accroissement des conflits d’usage de l’eau ?
Marc Dufumier : Avec le dérèglement climatique, la distribution des eaux de pluie va devenir de plus en plus chaotique et aléatoire, que ce soit dans l’espace ou dans le temps. Cela a des conséquences sur le niveau des cours d’eau, le rechargement des nappes phréatiques et des lacs réservoirs, que ce soit pour l’électricité ou pour l’agriculture. Les conflits d’usage sont de plus en plus nombreux. Et cela ne peut que s’aggraver, si l’on en reste aux prédictions de plus en plus avérées du GIEC.
— L’agriculture en France est une grosse consommatrice d’eau. Peut-on faire autrement ?
M.D. : L’agriculture consomme à peu près la moitié des eaux hors eaux de pluie. En plein été, on peut monter jusqu’à environ 70 %, cette eau étant utilisée pour l’irrigation. Or, on peut avoir une agriculture productive, durable et respectueuse de l’environnement avec une moindre consommation de ces eaux. Il faut pour cela faire un usage intensif, à l’hectare, des eaux de pluie, qui nous sont donnés gratuitement même si c’est de façon de plus en plus chaotique, ce qui limitera le recours à de l’irrigation.
« Les bassines sont coûteuses en énergie et occupent des terrains perdus pour les cultures »
Le mieux, c’est de limiter comme dans le Sud-Ouest, les cultures d’été exigeantes en eau au moment où il pleut peu, au profit de cultures d’hiver, semées à l’automne et récoltées à la fin du printemps/au début de l’été. Donc moins de maïs et de soja, et plus de blé d’hiver et d’orge. On peut produire des calories alimentaires avec d’autres plantes que le maïs. Et on peut éviter de nourrir les animaux au maïs. En Bretagne, par exemple, une bonne prairie permanente est plus adéquate que le maïs ensilage destiné à l’affouragement des ruminants. Pour chaque région, il faut prévoir des rotations, des assolements, pour éviter les monocultures. Il existe bien sûr des solutions rapides, avec quelques changements de variétés, d’espèces. Dans le Sud-Ouest, on corrige un peu le tir en faisant du sorgho, une plante d’été qui résiste mieux que le maïs au stress hydrique. Mais l’essentiel, c’est de rééquilibrer le pourcentage dans nos assolements de cultures d’été et de cultures d’hiver.
— Peut-on se passer totalement d’irrigation ?
M.D. : Si on est condamné à y avoir recours dans certaines régions, la question est : avec quelle eau ? J’ai une préférence pour les retenues collinaires — de petits barrages pour empêcher des ruisseaux de dévaler une pente —, ou les lacs réservoirs, plutôt que pour les bassines qui consistent à pomper la nappe phréatique. C’est coûteux en énergie fossile. De plus, ces bassines sont d’une grande surface, ce sont autant de terrains perdus pour les cultures. Et même si elles sont relativement profondes, une partie de cette eau qui a été puisée certes en hiver va s’évaporer. D’autre part, s’il faut faire de l’irrigation, il est préférable de la réserver à des productions telles que les fruits et légumes. Même si en apparence, ils sont riches en eau, ils nécessitent moins d’eau pour produire ce dont on a besoin, car la plante transpire bien moins qu’un maïs, qu’un blé ou qu’un sorgho.