On imagine mal Michelet, homme docte et sage, s’encanailler derrière un buisson forestier. Mais chez Michelet, histoire, nature et sensualité font bon ménage !
En 1857, aux temps héroïques de la lutte pour la forêt de Fontainebleau, Michelet vit un été magique. Jules a épousé la jeune Athénaïs, de 28 ans sa cadette ; il en est fou amoureux, et c’est réciproque. Les deux amants passent plusieurs semaines au vert, entre créativité et sensualité dans ce Fontainebleau si cher aux Romantiques. C’est pour travailler, semble-t-il : Louis XIII, la Renaissance et le palais tout proche sont au programme. Mais l’appel de la nature le dispute ferme aux études.
Dans son Journal, Michelet nous fait suivre ces joutes délicieuses du corps et de l’esprit : « Je creusai, avec une suite et une fécondité que je n’eus jamais, même pensée, même amour (femme et nature, tout identique) dans l’approfondissement de la jouissance ». Cette étude sur le physique féminin inspire aussi Michelet dans sa recherche naturaliste. Cet été-là, il écrit L’Insecte, puis il élabore le plan de La Mer, un livre aux accents préécologiques. Mais l’amour entre parfois en conflit avec le récit national de la France qu’écrit Michelet : « Quitté L’Amour et repris Louis XIII pour quelques jours. Ce n’était pas un petit effort de se remettre à l’histoire, lorsque l’intimité était si forte et si douce avec ce poétique objet »… Nature, ou culture ? Michelet avoue être le serviteur de la première : « Plus je jouissais du dessus, plus je désirais le dessous. J’aurais voulu, sous la forêt des feuilles si magnifiques et si charmantes, fouiller la forêt des racines. »
Jules Michelet comme George Sand vont étendre
leur amour de l’humain aux autres créatures : montagnes, insectes, poissons et arbres
Pourtant, dans son Introduction à l’Histoire universelle, le Michelet de 1831 écrivait : « Avec le monde a commencé une guerre qui doit finir avec le monde […] ; celle de l’homme contre la nature, de l’esprit contre la matière, de la liberté contre la fatalité ». Mais vingt-six ans plus tard, Michelet se déclare plutôt subjugué que combatif. S’il croit toujours au « progrès », Michelet a cessé aussi de s’illusionner. Dans ces années de la Révolution industrielle, Michelet comme George Sand vont étendre leur amour de l’humain aux autres créatures : montagnes, insectes, poissons et arbres. Dans La Mer, le ton se fait grave : « La mer, qui commença la vie sur ce globe, en serait encore la bienfaisante nourrice, si seulement l’homme savait respecter l’ordre qui y règne et s’abstenait de le troubler ». Il en arrive à prêcher un « droit de la mer ». Ce droit est lui-même inclus dans le chapitre « Conquête de la mer ». Mais toute conquête n’abolit-elle pas le droit, par la force ? En termes de Nature, une conquête sans respect est destructrice. Voici, selon Michelet en 1861, l’Homo sapiens, un être de duplicité : « 1° L’admiration de l’audace, du génie, avec lesquels l’homme a conquis les mers, maîtrisé la planète 2° L’étonnement de le voir si inhabile en tout ce qui touche l’homme ; que partout le navigateur est venu en ennemi. Voilà l’homme en présence du