Philippe Dintrans est ancien talonneur du XV de France et du Stado Tarbes
— Le rugby est-il une affaire de famille ?
Philippe Dintrans : Je viens d’une famille ouvrière qui aimait ce sport. Mon oncle et mon grand-père le pratiquaient à Bordères-sur-l’Échez. Mon père m’emmenait les voir jouer. Pour vaincre ma timidité, et surtout me « sortir des jupes de ma mère », il m’a inscrit au Stadoceste Tarbais. Avec le rugby, j’ai découvert la liberté absolue. C’est un jeu de contact énorme, mais également un jeu de balle. Il allie le choc du plaquage à la vitesse, le mouvement, l’intuition. Cela en fait un sport unique.
— C’est une bonne école de la vie ?
P.D. : J’y ai appris ce qui fait l’être humain : la solidarité, la rigueur, la folie, aussi. Je parle d’une bonne folie, celle qui conduit à donner le meilleur. Jouer au rugby requiert de l’empathie. Plus tu aimes les gens, plus tu t’aimes, mieux cela se passe et meilleurs sont les résultats. C’est un sport qui rend les faibles plus forts et les forts plus humbles. Capitaine des cadets, le dimanche, j’étais ramasseur de balles. J’ai assisté à la victoire du Stado face à Dax en 1973, là, au bord du terrain. Devant moi, je découvrais « Jojo » Michel, le capitaine, un joueur hors pair et Christian Paul1, un guerrier d’une gentillesse remarquable, qui est devenu un ami. De tels moments forgent une existence.
— La fidélité à Tarbes vient de là ?
P.D. : Étudiant au CREPS d e Toulouse, j’ai bien tenté d’obtenir une licence pour jouer au Stade… mais le président Ferrasse me l’a refusée car il était opposé à la professionnalisation du rugby. Tout compte fait, cela m’a permis de rester dans ma ville, et de construire avec les potes une équipe qui est arrivée en finale du Championnat de France en 1988.
— Entre le Stadoceste et la ville de Tarbes, le lien était fort ?
P.D. : Très fort. Ma période court des années 1980 au début des années 1990. La ville comme le rugby sont en train de changer. Les grandes usines commencent à fermer, un reflux s’amorce. Le rugby se professionnalise. Notre premier fan et supporter, c’est Raymond Erraçaret, le maire. Il fait bloc avec nous et nous faisons bloc avec la ville. J’ai créé un lien privilégié avec lui.
— La bascule dans le rugby professionnel modifie-t-elle ces équilibres ?
P.D. : Elle change tout : la gestion des équipes, la mobilité des joueurs… On voit des clubs qui pillent d’autres clubs, plus petits. Le professionnalisme implique l’entrée dans le sport de sommes colossales. Rugbyman devient un métier, et cela présente des avantages financiers pour les joueurs. Mais leurs parcours de vie se voient bouleversés, ils se retrouvent en compétition permanente. Le jeu lui-même est impacté, il est plus violent. Les gars sont mieux préparés, mais la concurrence se révèle plus brutale. On est dans la performance. À mon époque, le rugby restait un divertissement. J’aurais cependant aimé vivre cette expérience du professionnalisme.
— Qu’en est-il des villes moyennes dont les clubs vivaient de l’engagement des joueurs ?
P.D. : Le mouvement de professionnalisation du rugby s’est amorcé à la fin des années 1980. Certaines villes ont su évoluer, d’autres moins. En 1992, avec Christian Paul, nous avons cherché à anticiper ce changement en proposant de regrouper les quatre grandes équipes du département [Tarbes, Lourdes, Bagnères, Lannemezan, NDLR] afin de rester dans le haut niveau. Nous nous sommes heurtés à la volonté de préserver les identités communales.
— Est-ce à dire que l’avenir du rugby professionnel passe exclusivement par les grandes métropoles ?
P.D. : L’amitié, la fraternité, l’échange comme la prédominance du collectif sur les égoïsmes ont survécu à la professionnalisation. Il s’agit de s’inspirer de ce que certains clubs pratiquent aujourd’hui. De très grandes entreprises peuvent donner beaucoup plus qu’elles ne donnent, parier sur leur territoire. Quand je sors de chez moi et que je me retrouve face au pic du Midi, je me dis qu’il y a quelque chose à faire. Un tel potentiel scientifique additionné aux savoir-faire locaux et aux valeurs de rugby donnerait une force et une attractivité incroyables à notre terre.
— Un commentaire sur la Coupe du monde ?
P.D. : [Il sourit.] On a une belle équipe qu’il s’agit de stabiliser à la suite de la crise de la FFR. Mais on peut remporter la Coupe du monde.
1. Surnommé « la Masse », il est devenu maire de Bordères-sur-l’Échez en 2008. Il est décédé en 2017.