— Quelles seraient les priorités d’une bonne politique d’aménagement du territoire ?
Fanny Lacroix : À l’Association des maires ruraux de France, nous appelons à la réaffirmation d’un aménagement du territoire républicain où chacun puisse avoir sa place et des conditions de vie dignes. Nous invitons pour cela à réfléchir sur un bouquet de services minimums nécessaires à tout type de territoire : école, commerces de proximité, offre de soins… Où que l’on soit sur le territoire national, l’idée est que l’on puisse avoir accès à cette offre de services avec un temps de déplacement à définir — par exemple moins de 20 minutes en voiture, ou à vélo… Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Pendant des dizaines d’années, l’idéologie de la métropolisation a été dominante. Depuis les Gilets jaunes, on prend conscience que ce n’est plus possible. Il y a de la part de l’État une volonté de réaménager son territoire de manière plus équilibrée ; on le voit notamment avec les maisons France services et le dispositif Petites villes de demain. C’est un début, mais il va falloir aller plus loin. La réforme institutionnelle annoncée par Emmanuel Macron doit pouvoir répondre à un certain nombre de questions. Notamment comment faire converger une meilleure organisation administrative avec les bassins de vie réels et effectifs de nos populations. Nous vivons dans des intercommunalités extrêmement vastes, auxquelles de plus en plus de compétences sont obligatoirement transférées, et qui ne correspondent plus à rien en termes de vie des habitants.
— Comment envisager l’articulation entre des politiques publiques fortes émanant de l’État et une autonomie et des capacités de décision préservées pour les territoires ?
F.L. : Tout l’effort mis en œuvre doit viser à pouvoir faire deux choses à la fois : porter un cap au niveau national avec des objectifs chiffrés — c’est important pour garantir l’unité républicaine —, et en même temps donner au niveau local les capacités de s’organiser pour construire ces points d’équilibre qui doivent en fait — et c’est là où l’exercice est difficile — s’adapter à la diversité territoriale. C’est ce que j’affirme dans les réunions sur la planification écologique à l’AMRF : il faut un État fort dans ses prérogatives, et il faut que nous disposions dans le même temps de davantage de liberté d’organisation locale. Par exemple en arrêtant des transferts de compétences obligatoires sur des niveaux intercommunaux et en laissant les maires gouverner localement et trouver les points d’équilibre. Cela veut dire plus de liberté d’action, mais aussi plus de moyens au niveau local pour pouvoir mettre en place les services et les investissements nécessaires afin d’en finir avec ce sentiment de relégation que l’on vit dans nos communes rurales et qui alimente le vote de l’extrême droite.
— Cela veut dire aussi plus d’autonomie financière ?
F.L. : Oui. Et cela veut dire aussi redonner du mou sur les budgets de fonctionnement des communes, car il ne s’agit pas que d’investissements. Aujourd’hui, il faut répondre à des appels à projets pour aller chercher des financements. Or beaucoup de petites communes n’ont pas l’ingénierie nécessaire pour le faire. D’autre part, répondre à ces appels à projets vient piéger le projet local. Il vaudrait mieux avoir davantage de ressources de fonctionnement pour que les collectivités, les territoires, aient une capacité d’animation locale de leurs politiques publiques et sortent d’une forme de dépendance à l’appel à projets. Donc moins d’aides à l’investissement et plus de confiance sur des dotations revalorisées des communes. C’est bien l’échelon de la commune pour moi qui doit porter l’effort principal. Les murs porteurs de notre République, ce sont l’État et la commune. On le voit avec la transition énergétique et écologique. Prenons le projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables : on met en place une planification au niveau de l’État, relayée dans les régions où l’on a des objectifs chiffrés. Et ensuite, on donne aux communes la liberté de définir les zones d’accélération sur leurs territoires.
Il se passera beaucoup de choses en matière d’énergies renouvelables sur les territoires ruraux. J’anime un travail des Maires ruraux de France très innovant sur cette question, et ce qui ressort des ateliers, c’est que les maires ruraux sont prêts à s’impliquer dans la transition énergétique. Cela se fera chez nous parce que nous représentons 88 % du territoire national et que nous avons de la réserve foncière. Mais il faudra que le pacte républicain d’aménagement du territoire soit effectif. Oui, demain, on fera peut-être des éoliennes et des panneaux photovoltaïques sur nos territoires ruraux. Cela va beaucoup changer nos paysages et nos habitudes de vie, mais nous voulons être intégrés au pacte républicain. Nous voulons des services publics, une politique qui soit une vraie politique d’aménagement du territoire, où on ne laisse personne au bord du chemin.