AU SOMMAIRE DE CE DOSSIER
SCIC mal connues, mais si performantes (ci-dessous)
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SCIC mal connues, mais si performantes
Depuis 2022, les sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC) permettent aux collectivités locales d’investir dans des coopératives à vocation commerciale. Un outil qui contribue au développement économique local, dans les domaines aussi divers que la production d’énergie, la restauration collective ou la technologie.
À l’origine, c’est un concept hybride mêlant l’idéologie marxiste et l’utopie fouriériste aux luttes ouvrières et paysannes des débuts du siècle dernier. À l’heure des start-up et des « licornes » à un milliard d’euros, la coopérative pourrait sembler dépassée. Pourtant, cet univers polymorphe qui va du quarteron de maraîchers bio du Lot à Sodiaal, le géant de l’agroalimentaire laitier, s’est largement dépoussiéré. Il aligne des chiffres qui battent en brèche les idées reçues : plus de 367 000 entreprises et établissements, 2,6 millions d’emplois (10,5 % de l’emploi total) et 5 % du produit intérieur brut.
À l’heure des start-up et des « licornes » à un milliard d’euros, la coppérative pourrait sembler dépassée. Il n’en est rien.
Dans cette constellation, rebaptisée « économie sociale et solidaire » — qui regroupait coopératives et mutuelles —, une nouvelle étoile est apparue il y a vingt ans. Les sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC) étaient le chaînon manquant entre les collectivités locales — interdites jusqu’alors de s’investir dans une entreprise commerciale — et le monde coopératif. Le Code général des collectivités territoriales est clair : « Sont exclues, sauf autorisation par décret en Conseil d’État, toutes participations dans le capital d’une société commerciale […] n’ayant pas pour objet d’exploiter les services départementaux… » Avec une exception pour la production d’énergies renouvelables. « Mais c’est omettre la clause générale de compétence dévolue aux collectivités », observe Christiane Bouchart, élue écologiste, ancienne adjointe à la maire de Lille, à l’origine de la création du Réseau des collectivités Territoriales pour une Économie Solidaire (RTES). Cette clause est suffisamment floue pour que quelques collectivités en tirent parti et l’étendent aux crèches, à l’éducation au numérique ou à la restauration collective.
Des sociétés pérennes
Elles sont 188, d’après le dernier relevé effectué par le RTES. C’est modeste au regard des 1 200 SCIC nées de la loi de 2002. Selon une enquête menée conjointement par une mission de l’Inspection générale des Finances et le RTES auprès de 45 collectivités, 89 % des élus ont un degré de connaissance jugé « faible » des SCIC. Un score qui atteint 96 % pour les collectivités qui ne sont pas sociétaires d’une SCIC. En cause également, la difficulté de certaines collectivités à faire évoluer leur culture subventionnelle dès lors que l’entrée au capital d’une SCIC les engage dans un projet dont la durée peut dépasser celle d’un mandat local. Une étude de l’INSEE démontre d’ailleurs que le taux de pérennité des SCIC est supérieur à celui des sociétés de l’économie française dans son ensemble. D’abord parce que la finalité ne se borne pas à la maximisation des bénéfices. Ensuite, par l’obligation de mise en réserve d’une partie importante des excédents.
Le RTES, qui s’est constitué dans la foulée de la loi de 2002 créant les SCIC, poursuit une œuvre qui mêle le lobbying à l’information et à la formation. Christiane Bouchart se réjouit de l’évolution du réseau : « Au début, il regroupait surtout des élus écologistes, rejoints par la gauche, et le spectre politique s’est bien élargi depuis. » L’utopie née il y a près de deux siècles a désormais le vent en poupe.
Les SCIC, mode d’emploi
Spéculateurs s’abstenir : si elles ont un caractère commercial, les SCIC n’ont rien en commun avec leurs homologues de l’économie libérale. Les collectivités, en revanche, peuvent y trouver leur compte.
Elles sont sociétés anonymes, par actions simplifiées ou à responsabilité limitée, mais dotées d’un statut propre à décourager tout investisseur un tant soit peu spéculateur. Comme toute société commerciale, les SCIC sont censées rémunérer le capital, mais sans excéder le taux moyen des obligations, augmenté de 2 %. Soit 4 % tout au plus cette année. Ensuite, un minimum de 57,5 % de l’excédent doit être affecté aux réserves. Quant au rachat de parts, il s’effectue au nominal : une part de 100 euros à l’origine sera reprise à 100 euros dix ans plus tard. Ces contraintes trouvent une contrepartie dans la fiscalité qui leur est appliquée au titre de l’impôt sur les sociétés (IS).
Elles bénéficient ainsi d’une déductibilité de la part de bénéfices affectée aux réserves — un avantage dont aucune autre forme de coopérative ne bénéficie —, ce qui les incite à dépasser l’obligation légale de 57,5 % avec pour conséquence que les SCIC affichent une contribution négative (– 1,89 million en 2018) aux recettes de l’IS. S’il est contraignant, le statut de la SCIC présente des avantages pour une association qui souhaiterait s’y convertir. Elle s’ouvrirait des capacités d’emprunt, une « lucrativité limitée » et la possibilité d’impliquer une collectivité dans sa gouvernance. Il en va de même pour une entreprise en difficulté qui, par le principe même de la SCIC, peut élargir le champ de ses repreneurs au-delà de ses seuls salariés (dans le cas d’une Scop), en associant ses fournisseurs, ses acheteurs et des collectivités locales. En notant que ces dernières, rompues à la verticalité du pouvoir, s’accommodent mal du principe intangible d’« un homme, une voix », leur préférant les sociétés d’économie mixte où elles ont un pouvoir mesuré à l’aune de leur participation.