Dossier réalisé par Isabelle FRIEDMANN
AU SOMMAIRE DE CE DOSSIER
Treize millions de Français sont victimes chaque année de troubles psychiques (soit un sur cinq), 200 000 tentatives de suicide (dont 9 000 à l’issue fatale) sont recensées tous les ans, un adolescent sur deux souffre aujourd’hui de symptômes d’anxiété et de dépression… Avec plus de 23 milliards d’euros par an, les dépenses remboursées au titre de la détresse psychique et des maladies psychiatriques sont le premier poste de dépenses de l’Assurance maladie ; elles constituent la deuxième cause d’arrêt de travail. Noirci par la crise sanitaire, ce tableau inquiétant ne date cependant pas de 2020. « L’augmentation des demandes est antérieure à l’an 2000, fait observer le docteur Delphine Glachant, psychiatre à l’Hôpital des Murets, membre du collectif “Printemps de la psychiatrie” et présidente de l’Union syndicale de la psychiatrie. Cette hausse est due à différents paramètres : le fait qu’on est passé d’une société qui rejetait la maladie mentale, perçue comme une honte, à une société qui accepte davantage que les gens puissent aller mal, avec par conséquent davantage de consultations. À cela s’ajoutent les souffrances liées au travail, la pression, le management délétère, les relations dégradées avec collègues et hiérarchie qui engendrent de nombreux états pathologiques. Enfin, l’ambiance actuelle, avec la Covid, la guerre en Ukraine et la crise environnementale, est source d’angoisse et de dépression. »
Pénurie de moyens
Une diversité de causes qui se traduit par un seul et même constat : les moyens ne suivent pas pour faire face au besoin croissant de prise en charge. On constate, bien au contraire un effet ciseau avec une baisse des ressources humaines et financières : 30 % des postes de psychiatres sont aujourd’hui vacants et 60 % des lits de psychiatrie ont fermé entre 1976 et 2016, selon l’Inspection générale des affaires sociales. « Même s’il a remonté depuis cinq ans, on paie le numerus clausus, qui reste très insuffisant, regrette Delphine Glachant. Dans le service public, nous enregistrons toujours plus de départs que d’arrivées de jeunes médecins, d’une part parce que la psychiatrie n’est plus attractive, tellement elle est dégradée, d’autre part parce que la fuite vers le privé est importante, de la part des médecins et des infirmiers. »
30 % des postes de psychiatres sont vacants
Si, en septembre 2021, les Assises de la psychiatrie ont dépeint ce paysage alarmant et débouché sur une série de mesures, annoncées par le président de la République, un an plus tard, le niveau de la réponse apparaissait déjà tellement déconnecté de la réalité que l’hôpital psychiatrique public s’est mis en grève. Avec pour revendication une augmentation du nombre de lits d’hospitalisation, des créations de places en centres médico-psychologiques (CMP) au-delà des 800 annoncées par Emmanuel Macron, des augmentations de salaire pour compenser la pénibilité du travail, ainsi qu’une hausse des crédits de la recherche biomédicale dédiés à la psychiatrie.
Diversifier la prise en charge
Parallèlement à la question « purement » quantitative des moyens, ce sont aussi des débats sur l’organisation des soins qui refont surface : l’insuffisance des CMP — et leur inégale répartition sur le territoire national — fragilise un maillage de proximité, qui avait été progressivement mis en place en France depuis le déploiement de la psychiatrie de secteur. Sa fragilisation crée un maillon manquant dans la chaîne de soins, certains patients échappant aux écrans radars, jusqu’à ce qu’on les retrouve aux urgences : « Si on avait davantage de moyens pour répondre aux signalements qu’on nous adresse, pour mieux travailler avec les partenaires sociaux, aller à domicile et prendre les patients aux premiers signes, on éviterait des hospitalisations, analyse Delphine Glachant. Inversement, aujourd’hui, on diffère les soins, à tel point que la crise s’aggrave et les urgences sont submergées, avec toutes les tensions et les crispations que cela entraîne. » Ce travail partenarial que plusieurs médecins appellent de leurs vœux donne toute leur place aux collectivités locales qui, si elles n’ont pas de compétence en matière de santé, sont directement concernées par la souffrance de leurs habitants.
Conseils locaux de santé mentale
Sans être la solution miracle, les conseils locaux de santé mentale (CLSM), dont certaines collectivités se dotent dans le cadre de leur Contrat local de santé, pourraient apporter un peu d’huile dans les rouages : « Là où ils existent, ils facilitent la mise en relation des personnes qui travaillent auprès des publics vulnérables et des professionnels des services de soin, atteste le docteur Glachant. À travers cette instance, les assistantes sociales du département nous signalent des comportements qui indiquent que des gens ne vont pas bien, souvent des personnes isolées. Nous allons alors conseiller les services sociaux sur ce qu’il convient de faire ou essayer d’entrer en contact avec ces personnes. »
La santé mentale est une composante
essentielle de la santé
Amorce d’un réseau de soins, ces espaces de rencontre et de dialogue entre professionnels créent des passerelles entre des périmètres d’action encore trop cloisonnés. La détérioration de la santé mentale en France et dans le monde, où un milliard de personnes connaissent des troubles psychiques, a fait prendre conscience aux acteurs publics — et notamment aux communes — du rôle qu’elles peuvent jouer pour inverser la tendance.