Craignant un avenir qu’on lui promet sombre entre réchauffement climatique et érosion de la biodiversité, l’activiste écolo pourrait désespérer de sa personne et de la société. Doit-il se replier sur lui-même, ou bien attendre la fin du monde ? C’est de fait impossible, car le temps passe et la fin du monde n’est pas pour demain. Que faire ? Les premiers chrétiens ont connu cela. Le Christ avait prédit la fin de ce monde comme imminente, ils l’attendirent dans l’espérance et dans l’angoisse. Elle ne vint pas, et il fallut s’y résoudre. On dut s’organiser de façon très pragmatique. Et durer. L’Église devint structurellement nécessaire pour convertir. Pour vivre dans l’attente, il faut aussi apprendre à construire. Les activistes du début du XXIe siècle sont interrogés par des thèmes voisins : la fin du ou d’un monde, la fin d’une société, leur propre fin aussi et l’avenir de leurs enfants. Le sujet est sérieux, il est vital.
L’activisme pour tous
La société fait que nous sommes tous des « activistes » qui s’ignorent. Militants actifs ou passifs de notre quotidien et de nos aspirations. Nos acquis sont-ils remis en cause ? Nous voilà en grève. Activistes de nos modes de vie, nous affichons les marques de nos vêtements, de nos voitures. Nous véhiculons les injonctions de notre société, et certes, nous sommes libres. Mais nous sommes aussi les instruments consentants de cette liberté, qui a ses codes et ses lois. Une action d’autant plus inconsciente qu’elle s’intègre à nos habitudes. Intégrer le quotidien ? C’est essentiel à toute idée qui veut réussir. Le libéralisme a su s’imposer pour devenir presque invisible, fusionné à nos aspirations. C’est la réussite d’une idée acquise, qui devient agissante, et qui fait société.
Extension du domaine de la culture
L’activisme qui réussit ne crie plus. Il change peu à peu d’apparence : il fera oublier l’agitation de sa période adolescente, pour mieux intégrer la loi. Il se transformera enfin en sujet de société, et deviendra un thème éminemment culturel. Le libéralisme n’est pas seulement économique, c’est aussi un fait culturel. Et il en va de même pour l’écologie : si elle ne se préoccupe pas de notre culture commune et partagée, elle n’adviendra pas.
L’activisme qui réussit ne crie plus. Il fera oublier
l’agitation de sa période adolescente pour mieux intégrer la loi.
Ranger la culture dans le domaine exclusif de l’art est une vision partielle. Car l’art est la plus petite partie de la culture. Les amphithéâtres romains furent des lieux culturels. Mais c’était le sommet d’un édifice qui comprenait avant tout l’impérialisme, le commerce, les cultes, la technologie, la force militaire, etc. Bref, une société est une culture en soi. Mais l’art a cependant des vertus exceptionnelles, porteuses de messages et d’espoirs. Ce quotidien domestique et partagé, forme notre « culture » ; il a beaucoup plus de poids qu’un tableau ou une bonne musique. La démocratie et la politique gèrent les soubresauts de cette sorte d’activisme domestique mouvant.
Appelons cette culture « ce qui nous rassemble ». Pour intégrer le quotidien, l’écologie doit sûrement se préoccuper de ce qui nous rassemble. Et notamment de cet activisme domestique qui pourrait bien faire société. Se préoccuper de la culture commune, c’est se préoccuper de nous, un enjeu aussi essentiel et conjoint aux bonnes pratiques. Lutter à l’aide de rapports et d’indicateurs est crucial. Mais on ne fait pas société qu’avec des niches, fussent-elles vertueuses. Graphiques, science, culture : tous sont nécessaires. Associons-les, car la stratégie des niches a la faiblesse de ne toucher que les convaincus. Ce constat mine autant le libéralisme que le moral de nos jeunes activistes écolos.
Le tableau social
Pour exister et durer, une culture doit définir des missions à chacun. Un tableau harmonieux où chacun peut trouver un intérêt personnel et se sentir utile. Cet outil est éminemment culturel. La culture commune se définit par des usages, les lois, l’air du temps et l’histoire pour donner à chacun des « missions » culturelles, sociétales et familiales. Ce tableau mental de la société propose à chacun une place, qui semble cohérente. C’est une véritable « œuvre » sociale qui s’impose pour rassembler dans une société. Au même titre qu’une œuvre artistique, le tableau doit être compréhensible. On doit pouvoir s’y identifier, et il doit nous toucher. C’est-à-dire parler à notre affect, et aux mille et une feuilles de notre culture. Un outil nécessaire pour le présent, et pour pallier les jeux de dés de l’avenir. Permettant à chacun de se projeter comme élément actif d’une société. L’écologie devra dépasser l’activisme pour composer un panorama de ce type.
L’éco-anxiété et le sentiment d’abandon
Répondre à la fois à des défis climatiques comme à des destins personnels : le sentiment d’éco-anxiété révèle ce croisement délicat des enjeux. Les causes d’anxiété sont multiples : se sentir inutile et pour cela abandonner ses envies ; manquer d’outils pour saisir un problème ; ou ne savoir que faire des outils qu’on possède ; posséder encore des outils inadaptés à une situation. Il se peut aussi que la société ne raccorde pas ces outils à un projet politique. Enfin, la pression climatique, associée au manque de sens, forme un tout inquiétant. Le sentiment se développe d’une société qui serait orpheline. On évoque la perte de repères, mais il y a aussi un déficit d’amour de la communauté. On ne sait pas trop par qui ni pourquoi on a été abandonné. Mais la sensation de solitude, comme de désuétude de soi-même, est très forte. C’est le signe d’un vrai déficit culturel.
Pour exister et durer, une culture doit définir des missions à chacun. Un tableau harmonieux où chacun peut trouver un intérêt personnel et se sentir utile
La culture doit évidemment traiter cette absence et ce manque. Son usage attribué de tout temps dans la société humaine est de relier. Mais la réalité d’un « mille-et-une feuille culturel », c’est qu’une seule feuille écologique ne remplacera pas toutes les autres. Chaque feuillet de notre culture nous est essentiel. Ce présent et ce futur désirables proposent une exigence commune : abandonner nos idées reçues, examiner une à une ces feuilles culturelles. Les recomposer, agencer. Inventer un nouvel activisme domestique, que la communauté puisse s’approprier. Sortir des autoroutes usuelles de la pensée. Créer pour ne pas s’arrêter aux constats. L’avenir nous appartient, à condition de le dessiner. Il en est toujours ainsi dans l’histoire humaine, qui se forge elle-même un sens.