SERGE REGOURD est juriste et universitaire. Il a dirigé l’Institut du Droit de l’Espace, des Territoires, de la Culture et de la Communication de l’Université Toulouse Capitole. Élu à la région Occitanie depuis 2015, il préside la commission Culture, Patrimoine et Langues régionales et est à la tête d’Occitanie Livre & Lecture, l’agence régionale du livre.
— En novembre dernier, la région Occitanie a signé avec le CNL et la DRAC un nouveau contrat de filière en faveur du livre. Quelles formes va prendre ce soutien renforcé au secteur ?
Serge Regourd : Le contrat de filière est un outil d’intervention important, financé à parité par la région Occitanie et par l’État. La novation de celui-ci, en sus de la reconduction des actions précédentes, est-ce que l’on peut qualifier de
« compagnonnage » des auteurs en librairies, bénéficiant d’un complément de
30 000 euros annuels. La synergie consiste à animer des librairies par la présence d’auteurs auxquels est conjointement assurée une résidence de plusieurs mois. Nous avons fait le choix de privilégier à cet égard une politique territoriale, en faveur des zones proches de la ruralité et de la zone littorale. Pour prendre l’un des premiers exemples de réalisation, les deux librairies de Figeac — Le livre en fête et la librairie Champollion — accueilleront un auteur, en l’occurrence une illustratrice, durant trois mois, sous forme d’initiatives diverses en direction des lecteurs.
— On assiste à une concentration du livre sans précédent qui peut mettre en péril la bibliodiversité. Pourtant, la région Occitanie revendique à elle seule 280 structures d’édition ainsi que 257 librairies. Comment analysez-vous cette contradiction ?
S.R. : La vitalité du livre en région Occitanie en nombre d’éditeurs, de libraires et évidemment d’auteurs est ce qui m’a le plus frappé lorsque j’ai pris la présidence de l’agence du livre. C’est une réalité souvent occultée, précisément face à la concentration des grands groupes. Les indépendants font presque figure de résistants et manifestent les exigences concrètes d’une certaine diversité culturelle. Il faut néanmoins préciser deux éléments : d’une part, qu’il s’agisse des éditeurs ou des libraires, la grande majorité d’entre eux sont de petites structures, dans lesquelles le gérant est souvent dépourvu de salariés, dans certains cas sous forme associative, ce qui n’est nullement incompatible avec la qualité et le dynamisme. D’autre part et corrélativement, ce modèle économique — et les contradictions que vous évoquez — intègre précisément une intervention publique non négligeable. Au-delà du prix unique du livre dont on doit toujours signaler les vertus, les modalités d’aides financières aux libraires et aux éditeurs sont moins visibles que dans l’audiovisuel, mais elles sont loin d’être négligeables. La région et l’agence du livre (elle-même financée par la région et la DRAC) disposent d’un panel d’outils en termes d’aides à l’édition, de résidences, d’investissement, etc., dont les traductions ont été décuplées durant la pandémie. En clair, les contradictions sont résolues par l’intervention publique face au tout-marché, qui selon la formule d’Octavio Paz n’a ni conscience ni miséricorde…
« Les Cassandre avaient annoncé la mort du livre papier au profit pour partie du livre numérique. Cette hypothèse apocalyptique ne s’est pas réalisée. »
— Le livre n’est donc plus en danger ?
S.R. : Dans le cadre de ce que d’aucuns avaient nommé « la révolution numérique », les Cassandre de tous horizons avaient annoncé voici quelques années la mort du livre papier au profit pour partie du livre numérique. Cette hypothèse apocalyptique ne s’est pas réalisée. L’observation de l’histoire de l’art et celle des techniques nous apprennent qu’en réalité, les cas de pure substitution d’une pratique à une autre sont rares. Ce qui se produit le plus souvent relève de la superposition : la photographie n’a évidemment pas tué la peinture, le cinéma n’a pas tué le théâtre, la télévision n’a pas tué le cinéma… Mais il est vrai que l’écrit est le plus menacé par le numérique, comme en atteste l’évolution de la presse écrite. La régulation par les pouvoirs publics reste ici un élément important. La faiblesse de diffusion de la majorité des titres publiés, la précarité de la majorité des auteurs, ne doivent pas être ignorées, mais ne sauraient alimenter un quelconque discours sur la mort du livre.
— Dans S.O.S. Culture publié en 2021, vous appelez à un « réattelage » entre culture et politique. Qu’est-ce que cela impliquerait pour le livre ?
S.R. : En matière de pratiques culturelles, j’ai beaucoup appris au côté de mon ami Jack Ralite qui était une sorte d’exception culturelle dans l’univers des responsables politiques… Si le service public de l’audiovisuel jouait ici son rôle, la place du livre devrait y être singulièrement revalorisée sous une multiplicité de formes et d’ouverture au-delà du petit cercle germanopratin ! Je suis convaincu que le livre reste le prérequis pour l’accès aux autres formes de la création artistique et de compréhension du monde. C’est encore plus vrai dans la société actuelle rongée par les injustices et les inégalités inhérentes au libéralisme économique.
— La région vous semble être le bon échelon pour favoriser son essor ?
S.R. : En termes de politiques décentralisées, les régions sont devenues, de fait, les chefs de file sur le terrain culturel. La culture — donc le livre — relève juridiquement de compétences partagées par l’ensemble des catégories de collectivités territoriales. Mais la région est l’échelon pertinent. Il n’en reste pas
moins que, d’une part, sa collaboration avec l’État — en l’occurrence la DRAC — paraît indépassable, et d’autre part, la coopération avec les autres niveaux tels que les métropoles me paraît tout à fait nécessaire, par-delà les clivages politiques qui peuvent exister.