AU SOMMAIRE DE CE DOSSIER
Les villes moyennes retrouvent droit de cité (ci-dessous)
Christophe Guilluy : « Les territoires d’avenir sont ceux de la France périphérique »
Gil Avérous : « Une évolution inscrite dans la durée »
« Les villes moyennes prennent leur revanche », claironnent les médias à longueur d’enquêtes. Hier rejetées dans l’ombre des métropoles, les villes petites et moyennes retrouvent une attractivité bienvenue. « En octobre 2022, 51 % des Franciliens ayant des envies d’ailleurs indiquaient vouloir s’installer dans une agglomération de 10 000 à 100 000 habitants, contre 45 % en décembre 2020 », confirme Kelly Simon, cofondatrice du site Paris je te quitte, au magazine Challenges de novembre 2022. Les raisons d’un tel engouement ? Une aspiration à un autre cadre de vie, plus proche de la nature, le besoin d’un logement plus spacieux après les confinements, ou encore l’envie d’une ville à taille humaine… Bref, la possibilité d’une vie meilleure et moins chère. De fait, la promesse est tenue : selon une étude du Parisien menée en 2022, les villes-préfectures où la vie est moins chère sont les villes moyennes. En tête du classement, on retrouve Niort (Deux-Sèvres) et Châteauroux (Indre), deux villes boostées par la gratuité des transports en commun.
Les élus et cadres des collectivités ont saisi l’opportunité d’une relance. On le mesure aux nombreuses campagnes — souvent inventives — de marketing territorial, relayées par un site web au titre explicite : Paris je te quitte. De Bernay dans l’Eure à Dole dans le Jura en passant par Royan en Charente-Maritime, les villes moyennes sont surreprésentées dans les offres de destination où refaire sa vie. Épernay, en Haute-Marne, a même tourné un film promotionnel façon superproduction et film d’action : Cuvée Royale, qui mêle, autour de l’agent 51, intrigue, bagarres, course-poursuite, champagne et Aston Martin !
Attirer les emplois
L’intérêt n’est pas seulement de gagner des habitants. Il est aussi d’attirer les investissements et les emplois. De ce point de vue, les villes de taille modeste tirent leur épingle du jeu. Selon le cabinet EY, le nombre d’implantations
étrangères a bondi de 65 % en 2021 dans les intercommunalités de moins de 50 000 habitants, pour s’élever à 311 projets d’investissements. « Après 10 ans de métropolisation et la crise sanitaire, le formidable redémarrage économique post-Covid s’est traduit par une reprise exceptionnelle des créations d’emplois en France, portée essentiellement par les régions. Cette reprise concerne assurément les grandes métropoles régionales. Mais également — et c’est plus inattendu — les territoires à “taille humaine”, en particulier les villes moyennes et métropoles intermédiaires », analyse Cevan Torossian, directeur associé d’Arthur Loyd. Les deux tiers des projets d’investissement liés à la transition énergétique et aux enjeux climatiques (énergies renouvelables, recyclage des déchets, écomatériaux,
hydrogène vert, gigafactories, véhicule électrique) sont localisés hors des grands
pôles urbains.
Façades littorales avantagées
Pour autant, l’horizon des villes moyennes n’est pas totalement dégagé. D’abord parce que toutes les villes ne bénéficient pas du même enthousiasme à leur égard. Les grandes métropoles régionales restent les plus attractives et captent les flux avec de nombreux emplois et services. Du côté des villes moyennes, toutes ne bénéficient pas de la même dynamique. Vannes, dans le Morbihan, est en surchauffe, mais pas Laon, dans l’Aisne. Les façades littorales sont plus avantagées que les territoires soumis à la désindustrialisation ! On note également que les villes desservies par une liaison rapide vers Paris ou une métropole régionale sont favorisées, à l’image de Vendôme et sa gare TGV qui la place à trois quarts d’heure de Paris-Montparnasse.
« On sent un retour vers le littoral, mais ce n’est pas encore la ruée vers l’Ouest, nuance Patrick Boulier, président de la communauté d’agglomération de Dieppe Maritime (53 000 habitants), en Seine-Maritime. Les gens venus prendre l’air pendant le confinement sont vite repartis. Ce sont les projets industriels qui font venir des habitants. Nous allons gagner 100 emplois avec le développement d’un SUV par Alpine qui renaît de ses cendres avec brio. Et surtout, nous allons avoir des milliers d’emplois à pourvoir avec la construction de l’EPR sur la centrale nucléaire de Penly, annoncée en 2024. » Si la démographie n’est pas — encore — repartie à la hausse, c’est parce qu’il manque encore une offre santé, de formation et de transports. Mais le président est certain que « les efforts entrepris pour développer le port et l’activité éolienne, les formations proposées sur place avec le CNAM et le campus connecté et la structuration de grappes industrielles permettent d’accueillir les projets ambitieux. D’ailleurs, les premières entreprises arrivent pour se positionner en amont sur l’EPR et notre taux de chômage continue de baisser. »
30 millions de français vivent dans une ville moyenne mais seules les métropoles ont compté ces dernières années
Reste que ce regain d’attractivité n’est pas sans conséquences sur les équilibres, parfois fragiles, des territoires. L’envolée des prix met à mal l’accès au logement, entre tension sur le marché immobilier et nouvelles pratiques de locations saisonnières de type Airbnb pour les zones touristiques. La Bretagne et le Pays
basque doivent faire face à une envolée des prix qui crispe les relations entre population historique et futurs acquéreurs : « le Parisien » n’est pas forcément le bienvenu ! En 2023, le marché devrait se stabiliser, voire décroître. D’ici là, les problèmes des villes moyennes n’auront pas disparu par magie. Les dispositifs mis en place par l’État via l’Agence nationale de cohésion des territoires — Action Cœur de Ville, Petites villes de demain, Territoires d’industrie — n’ont pas encore produit tous les effets escomptés. Surtout, aucune décision d’ampleur ne vient stopper, voire inverser les politiques menées pendant trente ans au détriment des villes moyennes : fermetures de services hospitaliers, de lignes ferroviaires, fusion des Caisses d’allocations familiales, disparition de nombreux services publics de proximité… Dans ces conditions, il ne faudrait pas que l’arrivée de nouveaux habitants représente un problème avant d’être une solution.