Après un début de carrière comme monteur-câbleur pour lui, dans la vente pour elle, Christophe et Aurélia Opoix ont décidé, la trentaine passée, de reprendre en 2010 une partie de l’exploitation familiale pour renouer avec la culture de la terre. Avec pour prérequis de ne pas utiliser d’engrais chimique et pour business plan d’écouler leurs productions en circuit court. Le couple se lance donc dans
l’agriculture bio sur 10 des 100 hectares du père de Christophe, céréalier conventionnel à la retraite. Maraîchage, aviculture et arboriculture, la Ferme des Grands Prés, en Seine-et-Marne, écoule 90 % de ses productions via le réseau des AMAP (1) d’Île-de-France : chaque semaine, les exploitants livrent 160 paniers de légumes à des citadins, 50 % à Paris, 50 % dans leur département, avec lesquels ils ont signé un contrat en début de saison. « Le système a été créé en 2001 sur un principe assez militant, basé sur le partage des risques avec les producteurs, explique Amandine Fresneau, administratrice de l’AMAP IDF. Les consommateurs s’engagent financièrement sur une saison et acceptent de ne pas
avoir de légumes en cas de problèmes. » « Le principal avantage, c’est d’avoir de la visibilité sur notre chiffre d’affaires », note Christophe. Une garantie qui ne résout cependant pas tous les problèmes : sur la saison 2021-2022, le couple se sera rémunéré à peine 600 € mensuels chacun…
Face à la hausse des prix des engrais bio, du carburant, de l’électricité, des graines, de l’alimentation des poules, il a donc dû augmenter de 7 % ses paniers de légumes et de 14 % ses œufs pour la saison à venir. Mais dans un système où le lien entre producteurs et consommateurs est resserré, par des rencontres régulières et des ateliers à la ferme, les seconds prennent la mesure des difficultés des premiers et acceptent globalement sans sourciller la hausse des prix. Globalement, car les militants des débuts ont été rejoints par des consommateurs plus exigeants, voire capricieux… Malgré tout, pour les 3 700 producteurs qui alimentent les 2 100 AMAP de France (chiffres 2018), la formule reste attractive, même si elle les contraint à assurer des distributions chronophages.
Un métier, plusieurs casquettes
De toutes les façons, « il faut multiplier les casquettes quand on passe en bio », témoigne Jérôme Chenevière. À la tête d’une exploitation céréalière de 200 hectares dans l’Essonne, le quadragénaire a repris la ferme familiale en 2007. Il a alors 30 ans et derrière lui une expérience de vente de produits phytosanitaires.
« Quand j’ai repris, mon père travaillait en conventionnel et ne se posait pas de question », raconte-t-il. Pendant dix ans, il ne fait que peu évoluer les choses, puis en 2017 il décide de passer en bio : « J’ai assisté à l’éclosion d’une nouvelle vie dans les champs, se souvient Jérôme. On a vu revenir du gibier. J’ai vraiment l’impression de faire quelque chose de plus respectueux de la nature et de plus
durable. Je n’ai jamais été aussi heureux que depuis que je suis passé en bio. » Mais pour s’en sortir économiquement, alors qu’il produit 30 à 50 % du rendement qu’il avait en conventionnel, il a dû investir le champ de la transformation, fabriquant désormais sa farine, son pain, son huile. « On devient meunier, triturateur, commerçant, et on récupère ainsi la marge qu’on laissait avant aux industriels », sourit-il. En cinq ans, Jérôme, dont l’activité a créé quatre
emplois et demi, s’est inscrit dans une nouvelle logique économique, avec pour seul débouché la vente directe : boutique à la ferme, AMAP et approvisionnement des épiceries locales sont pour lui la garantie d’une meilleure rémunération.
Moins de viande, mais mieux
Si Christophe, Aurélia et Jérôme ne jurent plus que par les circuits courts, toutes les activités paysannes ne s’y prêtent pas forcément. Sylvain Bernard, éleveur de brebis installé à Montilliers dans le Maine-et-Loire, ne peut pas se passer des circuits longs s’il veut respecter son cahier des charges bio : « Pour ne travailler qu’en vente directe, il faut avoir trois à quatre périodes de mise à bas, explique l’éleveur, ce qui nécessite des traitements hormonaux que je ne suis pas autorisé à faire. Je reste donc sur une période d’agnelage par an. » Résultat, il a besoin des débouchés de son marchand de bestiaux pour écouler son pic de production, en juillet et août ; mais il vend aussi 30 à 35 % de sa viande en circuit court. Avec pour double avantage dans ce dernier cas un retour gratifiant sur la qualité de sa viande et une maîtrise des prix de vente. « J’achète les animaux aux producteurs
au prix qu’ils fixent eux-mêmes », confirme Antoine Pineau, à l’origine de la plateforme ericpineau.fr, qui réunit quinze producteurs du Grand Ouest, dont Sylvain Bernard. Fils d’éleveur, Antoine Pineau a voulu aider son père à vivre de son métier, dans une démarche de développement durable : « Nous sommes pour
le manger moins de viande, mais mieux », justifie-t-il. Mieux pour la santé des consommateurs, pour le bien-être animal, pour le respect de l’environnement, pour la viabilité économique des fermes.
Équilibre durable
Les mêmes arguments que ceux défendus, côté mer, par Charles Guierrec, fondateur de Poiscaille, une entreprise dont l’objectif est de concilier qualité et durabilité de la pêche, à travers un modèle qui se veut gagnant-gagnant pour les producteurs et pour les consommateurs. « On accepte de payer plus cher qu’en grande surface, parce qu’on a des garanties sur les techniques de pêche, sur la qualité des poissons et sur la rémunération des pêcheurs », argumentent Julie et Nils, deux jeunes adeptes de Poiscaille. À 25 ans, ce couple montpelliérain fait attention à avoir une consommation pas forcément bio, mais locale. Quitte à consacrer une part un peu plus importante de son budget à l’alimentation. Un choix responsable assumé qui semble devoir faire partie de l’équation pour que les modèles agricole et piscicole trouvent un équilibre durable.