Énergie : comment en est-on arrivé là ?
Le problème avec le fonctionnement des marchés, c’est que seule une poignée d’initiés y comprend quelque chose. Et le marché de l’énergie n’échappe pas à cette règle. Si chacun avait vaguement entendu parler de sa libéralisation dès la fin des années 1990, cela n’allait guère plus loin. D’autant qu’à cette époque, remettre en cause les vertus de l’intégration au marché européen, ou celles de la mise en concurrence, était politiquement incorrect et vous rejetait illico aux marges du spectre politique. La libéralisation du secteur a donc poursuivi son train sans rencontrer beaucoup d’obstacles.
Il aura fallu plus de vingt ans et une crise historique de l’énergie pour qu’un coin du voile se soulève et laisse entrevoir les règles ubuesques qui organisent les échanges et les prix d’un bien vital et utile à tous. Là où un élève de CM2 aurait pu anticiper les risques inhérents au système branlant mis en place, les surdiplômés de Bruxelles, sous la houlette de leurs gourous libéraux, ne voyaient apparemment rien qui clochait. Pourquoi le prix de l’électricité devait-il être relié à celui du gaz ? Pourquoi est-ce la dernière centrale à gaz mise en service qui devait fixer le tarif de l’ensemble des énergies ? Comment pouvait-on, en quelques mois, passer sur le marché de gros de 80 euros le mégawattheure à 1 000 euros ou plus ? Le grand mystère du Monopoly du marché européen de l’énergie n’avait pas encore produit tous ses effets que déjà certains partenaires, comme le Portugal et l’Espagne, prenaient la poudre d’escampette pour tenter d’en limiter les conséquences sur leur économie nationale. La France, qui pouvait se prévaloir de produire de l’énergie décarbonée avec ses centrales nucléaires, a négligé ce secteur jusqu’à se retrouver pieds et poings liés quand le vent mauvais est venu. Résultat, si la hausse vertigineuse des tarifs a mis à mal le porte-monnaie des ménages, elle a mis à genoux les collectivités locales, les institutions — publiques ou non —, des hôpitaux aux collèges en passant par les maternités et les commerces de proximité, les entreprises et les associations.
C’est l’objet du grand dossier de ce numéro, où l’on voit que malgré la violence de cette crise, les élus locaux ont su réagir et trouver des parades face à l’explosion des factures. Parfois au prix d’une réduction des services, tant la situation était grave. Parfois en ayant anticipé et en privilégiant la sobriété énergétique des nouveaux projets. Si Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, entend « passer au peigne fin » les finances des collectivités locales, il faudrait qu’il commence par les protéger des aberrations du marché, lui qui est aussi accessoirement ministre de la Souveraineté industrielle.
Frédéric Durand, Directeur de L’Inspiration politique.