Morgane Colombert est directrice de projet à Efficacity, l’institut français de recherche et développement dédié à la transition énergétique et écologique des villes. Fédérant une trentaine d’acteurs publics et privés, Efficacity rassemble 100 chercheurs et experts.
— Comment les élus locaux peuvent-ils se saisir des questions énergétiques et climatiques ?
Morgane Colombert : J’ai participé en 2018-2019 au projet de recherche et développement Articulation des stratégies climat énergie et planification spatiale (Ascens), financé par l’Ademe. Il s’agissait d’identifier les conditions favorables pour que les collectivités territoriales intègrent les enjeux climat-énergie dans leur trajectoire de développement, pour répondre à un objectif de résilience territoriale. Qu’est-ce qui peut favoriser la mise en œuvre d’actions performantes ? Quels sont au contraire les freins à lever ? Et par conséquent, quels sont les outils et les actions dont ont besoin les territoires pour aller vers une intégration plus forte de la transition énergétique et climatique dans leurs documents d’urbanisme ?
— Quelles ont été les conclusions de cette étude ?
M.C. : Nous avons étudié des territoires aux contraintes et aux profils différents, parmi lesquels les agglomérations de Paris, Brest et Douai. Pour tous, nous avons mis en évidence l’importance des ressources économiques, politiques et institutionnelles, pour faciliter l’intégration des enjeux énergétiques et climatiques à la planification territoriale. Nos conclusions ont souligné le besoin non seulement d’un soutien politique fort, pour avoir ensuite une résonance opérationnelle, mais aussi de moyens humains pour permettre cette intégration. Nous avons aussi constaté l’importance des trajectoires multiples et propres à chaque territoire, pour que chacun construise sa propre démarche. Certes, on peut apprendre des autres, mais il y a des particularités territoriales qui se mettent en place et qu’il faut prendre en compte.
— Les collectivités locales disposent-elles des outils adaptés à leurs besoins pour intégrer de façon efficiente les enjeux environnementaux à leurs politiques publiques ?
M.C. : Aujourd’hui, il y a beaucoup de connaissances sur le sujet de la transition énergétique et climatique, mais cette connaissance ne suffit pas à l’action. Il faut réussir à faire atterrir cette connaissance sur le terrain, ce qui suppose d’accompagner sa diffusion, pour qu’elle se traduise par des actions. Nous avons identifié un besoin de structures- relais qui existent dans les grandes agglomérations comme à Paris avec l’APUR ou à Brest avec l’Agence d’urbanisme Brest-Bretagne ; en revanche, un effort doit être fait pour les communes rurales qui n’ont pas les mêmes moyens. Plusieurs collectivités se sont lancées dans la construction de guides adaptées à leurs particularités : c’est une démarche qui permet de mettre autour de la table une diversité d’acteurs, de les faire monter en compétences, et de les mettre d’accord sur la trajectoire à adopter, et sur les leviers à actionner. Cette démarche incite à s’adapter aux spécificités locales, pour concilier les enjeux climatiques et énergétiques, d’une part, le respect de l’activité et de l’attractivité économiques, d’autre part.
— Dans quelle mesure cela peut-il être contradictoire ?
M.C. : Les élus doivent veiller à ce que les réglementations qu’ils prennent pour assurer la transition énergétique et climatique de leur territoire ne nuisent pas à leur attractivité. Avant l’entrée en vigueur de la RE2020, Brest ne pouvait pas, par exemple, être aussi coercitive et contraignante que la ville de Paris, à moins de courir le risque de voir ses acteurs économiques s’enfuir. D’où l’importance d’avoir une réglementation forte à l’échelle nationale, pour imposer ce que les collectivités ne peuvent pas imposer et pour assurer une forme de cohérence et d’égalité. Mais cela ne doit pas éclipser la nécessité de travailler localement avec les forces en présence, dans des démarches partenariales et innovantes.
— Est-ce qu’il y a globalement, aujourd’hui, une volonté d’agir à tous les niveaux ?
M.C. : Toutes les métropoles se sont aujourd’hui saisies des questions de performance énergétique, d’adaptation au changement climatique, de résilience… Elles ont adopté des stratégies fortes qui témoignent d’une réelle volonté politique d’agir. Mais, ensuite, la question est de savoir comment agir : qu’est-ce qui est le plus pertinent ? Or, cela nécessite un accompagnement sur mesure, car si certaines actions peuvent être transposées d’un lieu à l’autre, ce n’est pas vrai sur tous les sujets. Le développement des filières de matériaux biosourcés est très variable d’une région à l’autre, par exemple. Enfin, si les grandes agglomérations ont des moyens pour mener ces transitions, les milieux ruraux en ont moins. S’ils peuvent avoir recours à l’Ademe ou au Cerema, tous n’ont pas la connaissance de ces référents et de leurs représentants locaux. Or, l’étape de demain va vraiment consister à s’appuyer sur les solutions locales, ici pour explorer des gisements énergétiques locaux, là pour tenir compte des spécificités climatiques, ailleurs pour prendre en compte l’implantation des activités humaines. À Dunkerque, par exemple, la récupération de la chaleur fatale issue des activités industrielles constitue une ressource locale importante, qui n’existe pas partout ; de même, à Marseille, où des solutions de boucle d’eau tempérée avec récupération de calories sur l’eau de mer se mettent en place. On sent de plus en plus qu’il y a un besoin des territoires d’avoir des actions très liées à leurs spécificités, et qu’il faut pouvoir les accompagner.
— Vous parlez d’accompagnement, quelle forme doit-il prendre ?
M.C. : Si, sur certains sujets, le recours à une expertise extérieure, via un bureau d’études, peut être nécessaire. Je pense qu’il faut surtout former les élus et les agents territoriaux : ils doivent savoir parler bilan carbone aussi bien que bilan comptable. Il faut absolument acculturer tous les acteurs, pour que ces questions ne restent pas dans la main des seuls experts.