Propos recueillis par Véronique GIRAUD
JEAN-LUC GLEYZE est l’auteur de Grands incendies et alertes climatiques : plaidoyer pour la résilience de nos territoires publié en septembre dernier avec la Fondation Jean-Jaurès. À la suite de ces incendies, il a également été mandaté par Départements de France avec André Accary, président du Conseil départemental de Saône-et-Loire pour mener une mission flash dont les conclusions ont été rendues en octobre.
Dans votre plaidoyer pour la résilience de nos territoires, vous saluez l’implication des maires. Quelle est leur action lors d’un incendie d’ampleur ?
Jean-Luc Gleyze : La sécurité civile déploie les moyens nationaux, et notamment les moyens aériens. Mais ce sont les maires qui se sont confrontés à l’organisation du quotidien, à la logistique et à la gestion des stocks. À un moment, voyant leur degré d’épuisement, nous avons aussi pris la main au niveau du Département, en ouvrant le Domaine d’Hostens qui a accueilli et servi jusqu’à deux mille repas, matin, midi, soir et pendant la nuit. C’est la spontanéité locale et l’organisation de terrain qui prime en la matière. Il faut nous considérer pour ce que nous sommes, des élus de terrain capables de réagir rapidement, de comprendre les besoins de nos concitoyens et de mettre, y compris en faisant appel au système D, les bonnes solutions en place. C’est ce que nous avons fait, ce qu’ont fait les maires et les équipes municipales des communes impactées et des villes et villages alentour. La mobilisation a été extraordinaire, la solidarité s’est exprimée spontanément en situation de crise. Ce n’était pas sans difficulté pour les maires, et c’est la raison pour laquelle on leur tire notre chapeau.
— Serait-il possible d’anticiper l’organisation de cette solidarité qui incombe aux maires et aux équipes municipales ?
J.-L. G. : En Gironde, nous allons mettre en place un plan départemental de sauvegarde. Aujourd’hui, les communes sont censées être dotées de plans communaux de sauvegarde. Un certain nombre n’ont pas fait ce travail, parce que c’est du boulot, et qu’il faut savoir l’accompagner. Je suis élu d’un village de 1 300 habitants, nous avons la chance d’avoir un ancien pompier qui l’a pris en main avec méthode, rigueur et savoir-faire. Beaucoup de petites communes n’ont pas cette ressource. Ensuite, même si les maires mettent en place ce plan, ils ne les activent pas forcément. Récemment, le maire de Belin- Béliet disait qu’il n’y avait pas pensé. Cela signifie qu’il faut de l’accompagnement. Le Département peut contribuer à une coordination dépassant l’échelle communale. Nous l’avons fait lors des tempêtes de 1999 et 2009, lors des inondations de 2020. L’État a certes son centre de coordination, mais il n’est pas sur le terrain. Or, c’est en étant sur le terrain qu’on coordonne au mieux. Donc, l’idée est de déployer un plan départemental de sauvegarde qui viendra boucher les trous dans la raquette en complétant ce que fait l’État et ce que font les communes. Ce que nous avons fait là en essayant de récupérer les camions frigorifiques quand les maires en avaient besoin, en organisant la gestion des repas, en aidant à l’évacuation des EHPAD et des personnes dépendantes. L’idée, c’est de compléter ces éléments pour que tout le monde ait sa place, et que nous soyons plus efficients en étant davantage dans l’anticipation.
« Il faut qu’à un certain moment, l’État considère que les collectivités locales feront mieux que lui. »
— Vous estimez que le salut vient toujours du terrain. Pourquoi cette conviction et quelle part pour les collectivités locales ?
J.-L. G. : Cette conviction est très ancienne. D’abord parce que je suis Girondin dans les deux sens du terme et donc très décentralisateur, mais aussi parce que ma profession initiale de fonctionnaire territorial, notamment de secrétaire général de mairie, m’a amené sur les tempêtes de 1999 et de 2009 à opérer en tant que technicien. J’ai vu ce que c’était d’organiser des équipes. En 1999, j’étais le premier à arriver dans ma mairie alors qu’on n’avait pas d’électricité pour commencer à essayer d’organiser, vérifier qu’on avait des talkies-walkies, envoyer des agents municipaux vers les personnes isolées, etc. C’est vraiment le factuel et le concret qui m’ont amené à constater que, lorsqu’on s’organise sur le terrain au plus près des gens qui en ont besoin, les éléments de réponse sont les plus rapides et les plus efficaces.
— Quel doit être le rôle du département, celui des communes et des EPCI du territoire ?
J.-L. G. : Je ne réclame pas un nouvel acte de décentralisation majeur qui nous confierait des compétences supplémentaires. Le vrai sujet est de trouver le bon niveau pour la meilleure efficacité de l’action publique. Il faut qu’à un certain moment, l’État considère que les collectivités locales feront mieux que lui pour mettre en œuvre un certain nombre de solutions. Le vrai questionnement, c’est celui-ci. À certains moments, la commune est le bon interlocuteur parce que c’est la première porte qu’ouvrent nos concitoyennes et nos concitoyens. À d’autres moments, ce sont les départements qui semblent être la bonne échelle pour faciliter, assembler, coordonner les actions. À d’autres moments, ce sont les régions parce qu’elles ont une logique de planification encore plus macro, apportant une plus-value à une stratégie globale. Et à d’autres moments, c’est le régalien qui est le meilleur échelon. Il faudrait arriver, sans rediscuter la décentralisation, à faire une sorte de réévaluation de la stratégie publique et des politiques publiques pour cerner à quel moment tel échelon est le mieux adapté pour répondre à une politique publique.