Dossier réalisé par Isabelle Friedmann
AU SOMMAIRE DU DOSSIER
À l’échelle de l’histoire de l’humanité, le ski n’aura représenté qu’une fraction de seconde. À peine une anecdote. Et pourtant, pour les élus de montagne et les directeurs de station, le sujet du devenir de leur activité phare est loin d’être anecdotique. Quand on sait que le tourisme en montagne génère 20 milliards d’euros de retombées économiques, dont 50 % via les 350 stations de ski françaises qui emploient quelque 120 000 personnes, on comprend que l’enjeu est de taille. D’un côté, les données implacables des rapports scientifiques prouvent à la fois la fonte des glaciers, la diminution nette de 10 % des neiges éternelles en quarante ans et l’impact environnemental des activités de montagne : émissions de gaz à effet de serre liées aux transports et consommation d’eau liée à la neige de culture. De l’autre, la nécessité de maintenir une activité viable pour les stations de montagne et leurs habitants. Tiraillés entre ces deux enjeux, les élus tâtonnent, expérimentent et s’interrogent. « Mais tous réfléchissent, tient à souligner Jean-Luc Boch, maire de La Plagne Tarentaise et président de l’association nationale des Maires de stations de montagne (ANMSM). Nous sommes la seule industrie qui se projette ainsi sur vingt à trente ans, car nous savons que nous allons devoir nous adapter à des conditions climatiques changeantes. » Une adaptation envisagée à plus ou moins long terme selon les territoires, puisque Métabief fait le deuil du ski à court terme, tandis que la station des Orres n’est pas encore prête à tourner la page. Avec comme nerf de la guerre, la question actuellement très polémique de la neige artificielle. À La Clusaz, des associations de défense de l’environnement crient à l’hérésie écologique, refusant la création d’une nouvelle retenue collinaire, synonyme de destruction de la biodiversité et de gaspillage des ressources naturelles. En face, les pro-neige artificielle mettent en avant les vertus économiques du ski pour le territoire, et le fait que ces réserves d’eau peuvent aussi servir l’été à abreuver les troupeaux.
La crise sanitaire et la saison blanche 2020-2021 ont créé un électrochoc
La neige de culture en question
« Quand, en altitude, on fait le choix de la neige de culture, argumente Jean-Luc Boch, c’est avec deux objectifs : sécuriser un enneigement en début et en fin de saison, et enneiger des zones exposées au sud pour assurer la continuité des pistes. Mais, on n’est pas du tout dans les aberrations vues hier aux JO de Pékin ou demain en Arabie saoudite ! Nous sommes totalement contre ces situations. Pour nous, la neige de culture est un complément ; on ne fera jamais une saison d’hiver uniquement avec de la neige de culture. Je trouve qu’on a trop tendance à faire porter le chapeau aux territoires de montagne français, à nous voir comme la cause du réchauffement climatique, alors que nous en sommes une des victimes, et que nous travaillons à réduire l’empreinte carbone de nos activités. » Si l’inquiétude des élus de montagne ne date pas d’hier, l’attrait des sports d’hiver ayant reculé depuis plusieurs années, la crise sanitaire et la saison blanche 2020-2021 ont créé un électrochoc. Sans pour autant dégager de solution miracle. « On a eu l’impression, avec la crise de 2020, qu’on venait d’inventer les chiens de traîneaux, le ski de randonnée et les balades en montagne, mais toutes ces activités existent depuis longtemps, fait remarquer Jean-Luc Boch. Ce qu’on ne dit pas assez, c’est qu’elles ne permettent pas de faire vivre les stations. En 2020, les stations ont été remplies à 70 %, mais elles n’ont réalisé que 20 % de leur chiffre d’affaires habituel. »
Le plan Avenir montagnes
Le plan gouvernemental Avenir montagnes, né de la crise sanitaire, cherche depuis mai 2021 à « construire un avenir touristique plus diversifié et plus durable pour les territoires de montagne » ; à « leur donner la possibilité de développer une offre touristique “4 saisons” sans tourner le dos à l’activité neige ». Cela se traduit par un volet « investissements » (300 M€) pour développer des équipements touristiques durables, moderniser et diversifier les activités, ainsi que par un volet « ingénierie » (31 M€), autour notamment des questions de mobilité et d’hébergement.
« On a trop tendance à faire porter le chapeau aux territoires de montagne français, à nous voir comme la cause du réchauffement climatique, alors que nous en sommes une des victimes »
Jean-Luc Boch
Qu’il s’agisse de la problématique du dernier kilomètre (voir l’exemple de Saint-Gervais) ou de la bataille livrée aux « lits froids » comme à Font-Romeu, les mutations attendues exigent non seulement des investissements
financiers et des solutions techniques innovantes, mais aussi un changement de logiciel, davantage axé sur une vision plus panoramique des territoires, sur des logiques partenariales et sur une sensibilisation accrue aux enjeux de la préservation des écosystèmes montagnards. Des paramètres qui sont indispensables pour que les montagnes françaises, réservoirs d’eau et de biodiversité, s’inscrivent pleinement dans une dynamique respectueuse de l’environnement, naturel et humain.