Par Dominique SICOT
À Tours, il manquerait environ 10 millions d’euros pour boucler 2023 sur 175 millions d’euros de budget de fonctionnement en 2022 pour 138 000 habitants. Même chose à Besançon, qui affiche 145 millions de budget de fonctionnement en 2022 pour 118 000 habitants. À Dieppe (30 000 habitants), ce sont 4,5 millions qu’il faut trouver sur un budget de 57 millions en 2022. Les budgets communaux deviennent de véritables casse-têtes. Première cause, l’augmentation du point d’indice des fonctionnaires de 3,5 % au 1er juillet 2022. Loin de remettre en cause cette revalorisation — que tous estiment légitime, et que beaucoup considèrent
même comme insuffisante après douze ans de gel —, les élus locaux déplorent cependant d’avoir dû y faire face en plein milieu de l’année 2022, sans avoir pu la programmer. À Tours, par exemple, l’impact sur le budget annuel sera de 3,5 millions d’euros. Autre cause, la forte reprise de l’inflation générale qui touche tous les postes budgétaires : consommables pour les services administratifs, denrées alimentaires pour les cantines scolaires… Parallèlement, la revalorisation de 320 millions d’euros de la dotation globale de fonctionnement (DGF) de l’État aux collectivités prévue dans la loi de Finances pour 2023 ne suffit pas « à garantir la stabilité des ressources du bloc communal en volume », souligne l’Association des maires de France (AMF) qui demande l’indexation de la DGF sur l’inflation (voir communiqué du 20 octobre 2022).
Explosion des tarifs de l’énergie
Mais le gros morceau, c’est l’explosion des tarifs de l’énergie, entamée dès 2022, et que l’empilement des dispositifs mis en place (« bouclier tarifaire » sur l’électricité pour 8 000 à 9 000 petites communes) ou annoncés récemment par le gouvernement, tel l’amortisseur « filet de sécurité de l’électricité » s’appliquant également au gaz, semble loin d’endiguer. Début octobre, Zartoshte Bakhtiari lançait le collectif « Stop Racket Énergie » pour dénoncer « les prix fous et scandaleux » que les entreprises privées de l’énergie entendaient imposer aux collectivités locales. Le maire de Neuilly-sur-Marne (36 000 habitants) pointait une multiplication par cinq de la facture d’énergie de sa ville avec le nouveau contrat proposé par TotalEnergies. « Je ne demande pas que l’État fasse tout ! Ce serait aider les collectivités avec l’argent des Français. Les énergéticiens, qui ont
profité de leur situation de rente, doivent contribuer », estime l’élu, très remonté contre la dérégulation et le système européen de fixation des prix de l’électricité. La pétition du collectif a réuni en quelques jours 51 000 signataires, avec un vœu unanime des 131 villes de la métropole du Grand Paris. Nul n’échappe à la flambée des factures. « Dans ma commune de Marquillies (1 986 habitants) dans le Nord, les dépenses d’énergie étaient de 70 000 euros en 2021. Au printemps dernier, on avait provisionné 170 000 euros pour 2022 sur un budget de fonctionnement de 1,2 million d’euros. Nous allons donc honorer les factures. Mais il y aura des conséquences pour l’avenir », redoute quant à lui Éric Bocquet, sénateur et élu municipal. Pour certaines collectivités du département, c’est pire : Lambersart (29 000 habitants, budget de fonctionnement de 34 millions d’euros) avait prévu 900 000 euros de dépenses d’énergie pour 2022, ce sera 2,4 millions.
Le grand flou des aides
Pour 2023, toutes les villes sont dans le flou. « On ne connaît pas les modalités des nouvelles aides annoncées, on ne sait pas si Tours pourra en bénéficier, et à quel niveau », s’inquiète Frédéric Miniou, maire adjoint aux finances de la ville dont le budget énergie passerait de 4 millions d’euros à 10 millions pour 2023.
« Nos contrats arrivaient à échéance en juin 2022, nous les avons renégociés et signés à cette date. Bien nous en a pris, en septembre c’était encore plus cher ! », poursuit l’élu. « Nous sommes couverts jusqu’en juin 2023 pour le gaz et décembre 2023 pour l’électricité, avec un surcoût non négligeable ! Après, on ne sait pas… » Pour Besançon, ce seront sans doute 8 millions d’euros de plus pour les dépenses d’énergie, et là encore, « cela aurait pu être pire », estime Anthony
Poulin, maire adjoint aux finances : « Nous avons la chance d’avoir déjà acheté 20 % de notre énergie pour 2023, il y a un an. D’autre part, nous avons accéléré,
ces dernières années, les investissements dans la transition écologique (travaux dans les écoles, les bâtiments publics…), sinon la facture serait supérieure
de 2 à 3 millions d’euros. » « Ce que je sais, c’est qu’en 2023, cela nous coûtera 2 millions d’euros de plus pour le gaz », s’emporte Nicolas Langlois, maire de Dieppe qui au total devrait débourser 3,3 millions d’euros de plus pour
l’énergie. « Les annonces du gouvernement, c’est un écran de fumée pour étouffer la colère des maires qui, quel que soit leur parti, lancent tous le même cri d’alerte. » Partout, on « gratte ». Toujours à peu près sur les mêmes postes : éclairage public, ouverture et chauffage des équipements sportifs, chauffage des bâtiments publics, éclairages de Noël, fêtes et évènements… sachant que les économies espérées ne couvriront pas les surcoûts. À moins de saccager les services publics. Ce à quoi les maires se refusent. « Les services publics de l’État, la CPAM, l’URSSAF… sont dématérialisés ou imposent des prises de rendez-vous préalables. Les derniers accueils, les derniers contacts humains, ce sont les services publics municipaux », rappelle ainsi Nicolas Langlois. « Notre rôle, c’est de le faire même si cela représente un coût pour le budget communal. »
Marre des doubles discours
Côté recettes, peu d’air à attendre. « On peut certes augmenter les tarifs des services de la ville, mais les usagers ne doivent pas en pâtir », avance Frédéric Miniou, à Tours. « L’année dernière, l’inflation était de 3 à 4 %, on a augmenté les
tarifs de 1,5 %. Nous resterons sur cette logique. » Quant au maire de Dieppe, il se refuse à relever les tarifs de la cantine. Dans une ville où près de 40 % des élèves ont accès à la gratuité, certaines familles pourraient alors renoncer à y
mettre leurs enfants. Quant à la fiscalité, les marges de manœuvre des communes
sont réduites à peau de chagrin. Le gouvernement a supprimé la taxe d’habitation.
Celle de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) — dont une partie revient aux intercommunalités et aux communes — est programmée sur
deux ans. Seul recours pour les communes : moduler le taux de la taxe foncière, payée par les seuls propriétaires. Mais il est difficile de faire porter les efforts sur une partie seulement de la population, pas systématiquement les plus riches. Au-delà de 2023, les maires sont inquiets pour l’avenir. « Jusqu’ici, à Marquillies, nous arrivions bon an, mal an à dégager un excédent de 150 000 à 200 000 euros sur ce budget de fonctionnement. Là, il n’y en aura quasiment pas. Or, c’est cet excédent qui nourrit l’investissement des années suivantes », rappelle Éric Bocquet.
Certains projets risquent donc d’être abandonnés, ce qui aurait de graves conséquences sur l’ensemble de l’économie : les collectivités locales représentant en France 70% de l’investissement public total.
De plus, quand les entreprises leur remettent leurs offres, les élus constatent déjà des hausses de 10 à 30 % par rapport aux budgets d’investissement initialement prévus. Certains projets risquent donc d’être repoussés ou abandonnés, ce qui aurait de graves conséquences sur l’ensemble de l’économie puisque les investissements des collectivités locales représentant en France 70 % de l’investissement public total. Les élus sont las également des doubles discours. D’un côté, un gouvernement qui leur promet des aides. De l’autre, une loi de programmation des finances publiques 2023-2027 qui entend bien exiger des communes leur participation à la baisse de la dette publique française. Ainsi, le gouvernement a décidé de faire passer, via le 49.3, le projet de loi de finances 2023. Avec un article qui intègre le contrat de confiance initialement inscrit dans la loi de programmation des finances publiques 2023-2027. Ce contrat prévoit de limiter, pour toutes les strates de collectivités, l’évolution des dépenses de fonctionnement à hauteur de l’inflation moins 0,5 % sur la durée du quinquennat. Avec un système de sanction en cas de dépassement qui met les élus locaux vent debout. « Une fois de plus, on met la pression sur les collectivités locales, c’est inacceptable !, s’insurge Anthony Poulin. Nous avons déjà été en première ligne au moment du Covid-19. Nous avons l’obligation de rendre des budgets à l’équilibre. La dette des collectivités locales représente 7 %
de la dette publique française. Et maintenant, il faudrait participer au redressement des finances publiques… »