Par Bruno LAFOSSE
AU SOMMAIRE DU DOSSIER
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Emmanuel Macron et les maires : pourquoi c’est compliqué (ci-dessous)
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Joachim Moyse, maire de Saint-Étienne-du-Rouvray : « Un désintérêt pour les élus de proximité alors que nous vivons sur une poudrière sociale »
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Vincent Chriqui, maire de Bourguoin-Jallieu : « Qu’on nous redonne de la capacité de décider »
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François Cuillandre, maire de Brest : « Revenir aux fondamentaux : la libre administration des collectivités
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Cathy Venturino-Gabelle, maire de Barjols : « Nous sommes à la barre, nous connaissons le terrain et les demandes des administrés »
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Fanny Lacroix : « La commune et l’État sont les murs porteurs de la République »
C’est l’histoire d’un président de la République qui n’a jamais été auparavant ni élu local, ni maire, ni député, ni même conseiller municipal. Emmanuel Macron a brouillé les schémas du parcours politique français en remportant en 2017 l’élection présidentielle, dès sa première candidature, au suffrage universel. Cette fulgurante ascension pose immédiatement une question : comment ce président sans ancrage local va-t-il vivre sa relation au pays profond ? Le général de Gaulle résumait l’enjeu d’une boutade : « Comment voulez-vous gouverner un pays où il existe 258 variétés de fromage ? » Tout débute dans un climat serein avec l’annonce d’une relation renouvelée entre l’État et les territoires. C’est un maire, Édouard Philippe, qui est nommé Premier ministre. L’installation de la Conférence nationale des territoires au Sénat le 17 juillet 2017 se veut annonciatrice d’un « pacte de confiance entre l’État et les territoires ». Promis, juré : les collectivités territoriales seront associées en amont à toute décision qui les concerne. La conférence a pour but de mettre en place un nouveau mode de fonctionnement et de répartition des rôles entre l’État et les collectivités. Parmi les propositions se trouve ainsi le droit à l’expérimentation simplifié pour les collectivités, la possibilité pour les territoires de trouver, selon les mots du président de la République, « l’organisation qui est la plus pertinente pour eux ».
Reprise en main
Mais, « en même temps », des annonces viennent heurter les représentants des territoires : réduction du nombre d’élus, pression sur les dépenses locales avec 13 milliards d’économies à réaliser en cinq ans pour « participer à l’effort collectif pour réduire le déficit et contenir la dépense publique ». « Et surtout, il y a cette suppression de la taxe d’habitation, promesse du candidat Macron. La décision reste en travers de la gorge des élus de tous bords, y voyant la quintessence de la reprise en main par l’État de leurs ressources fiscales », relève Patrick Roger dans Le Monde du 17 novembre 2021. S’ajoute au contentieux la suppression des emplois aidés, passés de 320 000 en 2017 à 130 000 en 2019. La décision fragilise considérablement le tissu associatif local et les communes rurales. Dès lors, la relation du président avec les élus locaux et les territoires tourne au clash. Sifflé au Congrès des maires en novembre 2017, le président ne réussira jamais à renouer le fil rompu. Un an après l’installation de la Conférence des territoires, l’instance s’est réduite comme peau de chagrin. Trois des plus grosses associations d’élus boudent le rendez-vous : l’Association des maires de France (AMF), l’Assemblée des départements de France (ADF) et Régions de France. Et la réception organisée chaque année à l’Élysée avec 1 000 élus, à la veille du Congrès des maires, n’apaise pas forcément les rancœurs. Si de nombreux élus s’y rendent, d’autres pestent contre cette invitation « au château », symbole d’un pouvoir vertical1.
Emmanuel Macron veut « enjamber les corps intermédiaires qu’il considère comme autant de freins aux réformes à mettre en oeuvre, et dans sa relation directe au peuple
Populisme d’en haut
Au-delà de la défiance grandissante des élus locaux, c’est l’exercice du pouvoir jupitérien qui est perçu comme problématique. Syndicats, associations, grands corps d’État… Emmanuel Macron veut « enjamber » les corps intermédiaires qu’il considère comme autant de freins aux réformes à mettre en œuvre, et dans sa relation directe au peuple. Un « populisme d’en haut dans la mesure où la relation directe avec le peuple se fait au nom du monopole de la raison, de l’emprise technocratique et de la compétence », analyse le directeur d’études à l’École des Hautes Études en sciences sociales, Michel Wieviorka, dans le quotidien belge L’Écho du 28 avril 2022. Le sociologue regrette que « durant le premier quinquennat, les corps intermédiaires ont été affaiblis et disqualifiés, tenus à l’écart. Même s’il ne faut pas oublier qu’ils étaient eux-mêmes en difficulté, ces corps jouent un rôle essentiel dans la vie démocratique : parmi les corps intermédiaires, il y a des acteurs qui représentent des segments de la population, des morceaux du corps social2 ». Et sans leur mobilisation, gare aux fractures qui traversent la société française. La crise des Gilets jaunes puis la crise sanitaire ont ainsi cruellement rappelé au président qu’il ne pouvait se passer des collectivités locales et de leur connaissance fine des réalités. Et ce, au moment même où l’un des services publics les plus emblématiques, l’hôpital, était à bout de souffle. Sans les collectivités, comment ouvrir des centres de dépistage, comment porter les messages de prévention, puis réaliser une vaccination massive en un temps record ?
Tendre la main
L’échec de LREM aux municipales de 2020 confirme son faible niveau d’implantation locale. Quant au second quinquennat d’Emmanuel Macron, il est inauguré au printemps 2022 par une montée inédite des populismes et un score record de l’extrême droite qui se répète également aux élections législatives. Toute une France tenue à l’écart des métropoles est entrée en défiance. Une majorité désormais relative à l’Assemblée oblige à trouver des compromis. L’époque du pouvoir jupitérien est révolue. Emmanuel Macron doit changer de doctrine et tendre la main. Avant l’été, le gouvernement déverrouille le point d’indice des fonctionnaires, répondant à de nombreuses demandes d’élus locaux et d’agents publics, tout en fragilisant malgré tout les finances des collectivités qui devront supporter la hausse des salaires, sans compensation. Début septembre, face au fiasco annoncé du Conseil national de la refondation, le président rameute trois associations d’élus locaux qui ont décidé de bouder le rendez-vous. Territoires Unis qui regroupe l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF), les Départements de France et les Régions de France, « salue la réponse qui a été donnée par l’Élysée à sa proposition de travailler de manière approfondie avec les élus locaux pour répondre aux inquiétudes de nos concitoyens, et de garantir à nos collectivités un cadre qui permet l’exercice des services publics locaux, et le maintien de l’investissement public ». Surtout, les parties s’accordent sur un dialogue régulier et direct.
Toute une France tenue à l’écart des métropoles est entrée en défiance. Une majorité désormais relative à l’Assemblée oblige à trouver des compromis.
Nouveau chapitre
Quand il annonce le 10 octobre dernier, depuis Château-Gontier, au cœur de la Mayenne, vouloir « ouvrir un nouveau chapitre de la décentralisation », l’Association des maires de France présidée par David Lisnard se félicite de voir le président rejoindre sa position pour une « vraie décentralisation ». Un chantier qui sera mené dans le cadre d’une commission transpartisane sur les institutions installée dans les prochains mois. Mais déjà d’autres sujets de discorde se profilent : la suppression de la Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), annoncée dans le projet de loi de finances 2023, inquiète les collectivités qui vont voir disparaître une recette sans garanties de compensation. Pour Emmanuel Macron, c’est clair, le chemin vers les territoires est encore long.