— Vous estimez qu’il faut se « désintoxiquer » de la mythologie de la « CAME » [Compétitivité, Attractivité, Métropolisation, Excellence]. Que voulez-vous dire par là ?
Olivier Bouba-Olga : Dans des travaux réalisés avec Michel Grossetti en 2018, nous avions contesté une approche dominante affirmant que l’avenir pour l’économie française se trouvait dans les très grandes villes, dans les métropoles. Hors de là, point de salut ! D’où la loi MAPTAM (Mobilisation de l’action publique territoriale et affirmation des métropoles) en 2014.
Selon cette théorie, les territoires sont en compétition dans le cadre de la mondialisation. L’action publique ne doit donc soutenir que ceux qui peuvent être compétitifs, c’est-à-dire les métropoles, parce qu’elles sont plus attractives et plus innovantes. Les autres territoires se trouvant ainsi réduits à espérer que la réussite des métropoles ruisselle sur eux.
Or cette théorie ne tient pas la route empiriquement. Prenons par exemple le taux de croissance de l’emploi : certaines métropoles sont certes très dynamiques, mais d’autres sont dans la moyenne, et d’autres en dessous. Une métropole n’est pas forcément plus performante, plus compétitive. Quant aux autres territoires — villes moyennes, petites villes, territoires ruraux — là aussi, c’est la diversité qui règne.
Ce qui prédomine, ce sont les différences entre macro-régions : les parties ouest et sud de la France vont plutôt bien, pour un grand quart nord-est, c’est plus difficile.
— Faut-il repenser l’aménagement du territoire ?
OB : Il y a des potentialités de développement et d’innovation sur beaucoup de territoires. Encore faut-il que les habitants puissent couvrir leurs besoins de base : se former, se soigner, accéder à la culture, se déplacer, etc. C’est cela, la question fondamentale. Et les réponses à apporter ne sont pas les mêmes en milieu urbain et en milieu rural.
De plus, il faudrait réinterroger les objectifs politiques. Dans le discours pro-métropoles, l’essentiel tourne autour de la compétition mondiale, la création de richesses et d’emplois. Certes, c’est important. Mais aujourd’hui, il y a des enjeux énormes en termes de transition économique, sociale et environnementale. La crise des Gilets jaunes comme la crise liée au Covid invitent également à une remise en cause des finalités de l’action politique.
En région Nouvelle-Aquitaine, par exemple, est-ce que le but c’est que le taux de croissance de l’emploi à Bordeaux soit supérieur à celui de Toulouse, celui de Poitiers supérieur à celui de Limoges ? Ou plutôt que les populations qui résident sur ces territoires puissent bien vivre et que l’on puisse collectivement couvrir les besoins présents et futurs de ces populations ?
— Vous avez mis entre parenthèses votre carrière et travaillez pour la Région Nouvelle-Aquitaine. Pourquoi ?
OB : Je fais le pari qu’en produisant des études plus précises, mieux territorialisées, approfondies, on doit être capable de mieux agir sur des territoires. Dans le service que je dirige au sein de la Région, ma mission consiste à identifier les territoires qui ont un problème de chômage, d’artificialisation des sols, etc., de comprendre pourquoi, et de donner des éléments pour orienter l’action publique.
Grâce à ces études, on va s’apercevoir qu’à tel endroit le chômage est lié à des problèmes de mobilité — manque de transports publics, pas de permis de conduire, de véhicule… — qui empêchent des personnes de postuler à certains emplois. Ailleurs, le problème sera lié au fait que les personnes au chômage n’ont pas les compétences requises pour les emplois proposés. Les réponses en termes d’action publique sont donc différentes.
« Christophe Guilluy a généralisé son propos à outrance, opposant une France des métropoles, innovante, où tout va bien et une France périphérique qui souffre et se meurt. C’est faux. »
— Diriez-vous que les villages meurent ?
OB : On ne peut pas assimiler territoire rural et déclin. Cette vision a été très popularisée par les écrits de Christophe Guilluy sur la « France périphérique », qui ont mis en évidence que dans certains territoires ruraux, il y avait des gens pauvres, qui souffraient, que cela n’était pas réservé aux banlieues des grandes villes.
Mais il a généralisé son propos à outrance, opposant une France des métropoles, mondialisée, innovante, où tout va bien et une France périphérique qui souffre et se meurt. C’est faux. La réalité est bien plus complexe. Certains territoires ruraux sont confrontés à une baisse de population continue. D’autres ont une dynamique démographique croissante et ne sont pas seulement des villages-dortoirs.