« La jeunesse observe le monde politique comme une étrangeté »
Frédéric Durand, Directeur de l’Inspiration Politique
Notre grand dossier sur la jeunesse nous livre deux enseignements majeurs : le premier, le plus visible, est une forme de sécession accélérée entre jeunes et politique. Un fossé que l’on a vu lentement s’étendre et se creuser jusqu’à ne plus distinguer ce qui se passait sur l’autre rive. La jeunesse, de son côté, observe le monde politique comme une étrangeté, une comédie inutile à laquelle elle ne souhaite plus prendre part. Le second enseignement tient au fait que cette indifférence à la vie politique n’est pas synonyme d’une fatigue démocratique ou d’un refus définitif de l’engagement. Au contraire, les jeunes ont toujours besoin de s’engager, mais ils le font le plus souvent dans des espaces de proximité, sur des sujets qui leur parlent et sur lesquels ils vont pouvoir mesurer l’utilité de leur action. Agir en faveur de l’environnement, une cause qu’ils savent globale, peut se traduire par des actions locales sur les circuits courts dans l’alimentation ou dans des jardins partagés. La plupart l’évoquent dans le récit que nous faisons des différentes villes du pays où nous les avons rencontrés.
C’est précisément sur cette apparente contradiction qu’il faut que les responsables politiques prennent le temps de la réflexion : pourquoi des jeunes prêts à l’engagement désertent-ils les urnes aussi massivement ? Et pourquoi la poignée de celles et ceux qui continuent à se rendre dans les bureaux de vote le fait-elle moins par désir que par devoir ? Car un tel niveau d’abstention ne peut plus nous laisser désinvoltes : il en va désormais de la substance même de la démocratie. Et il ne s’agit plus, par paresse, d’adapter le discours politique à cette catégorie particulière de la population, mais bien de changer de paradigme, puisque si la jeunesse renonce brutalement au politique, les générations qui la précèdent ont déjà emboîté le pas.
C’est ici que les territoires ont sans doute un rôle crucial à jouer. Le besoin de concret qu’attendent les jeunes pour s’engager, leur sentiment qu’on ne peut transformer que ce qui se tient à notre portée peut trouver une première résolution dans la proximité qu’offrent les communes, les départements ou les régions. Pour se réapproprier de grands récits politiques, les jeunes passeront par la case locale, une courte échelle, pour voir ensuite le monde en grand.
Ce sont ces territoires que notre revue sonde et explore dans chaque numéro. Nous sentons bien que dans le chaos de la mondialisation, retrouver un espace d’action à la mesure de l’homme devient un enjeu d’identité. La promotion politique des territoires échappe désormais au vieux débat entre jacobins et girondins, tant le monde a radicalement changé ; il recouvre une pulsion vitale dans la société globale qui n’offre plus de repères stables.
Parce qu’on a tous besoin de se sentir de quelque part et qu’elle sait l’exploiter, l’extrême droite trouve un écho stupéfiant ; notre sondage auprès des jeunes montre que ceux qui iront voter la choisiraient majoritairement en 2022. Cette influence historique, leurs opposants auraient tort de la moquer ou de la diaboliser. Il s’agit de la comprendre et d’y apporter d’autres remèdes que le rejet de tout ce qui est différent. Car si la France a été grande dans son histoire, c’est justement parce qu’elle ne se parlait pas à elle-même comme aujourd’hui, mais au monde entier, avec un message humaniste et universaliste, celui-là même qui avait germé dans l’esprit des Lumières.