Nous sommes à la croisée des chemins, les bouleversements induits par la mondialisation économique ont rebattu les cartes, les inégalités se creusent, les replis religieux et nationalistes se donnent la main pour créer une illusoire identité à des peuples maltraités. Dans ce contexte, la proposition spécieuse d’un retour à l’autoritarisme et à une société fermée est d’autant plus attrayante que désormais le présent ne peut plus donner de leçons au passé. La société contemporaine et ses élites sont bien en peine de promettre une vie meilleure aux nouvelles générations et nos regards se tournent vers un hier fantasmé pour tenter d’y trouver des réponses.
Face à la difficulté de la tâche, une partie du camp progressiste a démissionné, mutique sur les questions de sécurité, cautionnant par son silence les profondes blessures infligées à la République par l’islam politique et radical, elle disparaît peu à peu du paysage. Le risque d’être pris dans une tenaille idéologique entre les extrémistes politiques et religieux est pourtant bien réel et met en danger la démocratie. Or il est un fait que les générations qui suivent les grandes conquêtes les supposent éternelles. La démocratie en Occident nous semble posée comme un rocher parmi les hommes. Si solidement ancrée qu’on s’illusionne à la croire un objet politique naturel quand elle n’est que le dénouement imparfait, vulnérable et fragile du choix des humains pour vivre ensemble. L’attaque du Capitole par des citoyens américains le 6 janvier 2021, dans une mise en scène grotesque qui a tourné au drame, provoquant cinq morts, a tôt fait de nous ramener à cette fragilité de la chose publique, la res publica. À l’infini combat qu’il nous faut mener pour protéger ce qui nous est précieux.
« Il faut imaginer Sisyphe heureux », a écrit Albert Camus. Mais si Sisyphe lui-même venait à s’effondrer, épuisé, et si nos vieilles démocraties venaient à s’écrouler sur elles-mêmes, dans un pathétique chant d’adieu donnant quitus à des régimes liberticides pour les remplacer. « Faites attention, quand une démocratie est malade, le fascisme vient à son chevet mais ce n’est pas pour prendre de ses nouvelles », disait encore Camus. L’obscurantisme, les théories du complot et les thèses conspirationnistes refleurissent partout, alimentés par des réseaux sociaux qui promeuvent le sensationnel aux dépens du vrai. Le village global se dilue dans des centaines de microcommunautés digitales, un confinement numérique où chacun ne parle plus qu’à ceux qui partagent les mêmes points de vue et où il deviendra vite impossible d’avancer faute de débats et de controverses fécondes. Au lieu de nous ouvrir au monde, le numérique pourrait finir par nous enfermer dans un espace affinitaire clos.
Et si nous avions à nouveau besoin d’être éclairés, de rebâtir un chemin des Lumières dans le siècle naissant ? C’est la proposition de notre média. L’Inspiration politique est née de ce défi qui mise sur l’intelligence collective, sur un désir de faire partager ce qui se fait de beau et d’inventif dans le monde. Des expériences politiques vertueuses qui éclosent partout dans les territoires, des débats sains et utiles qui nous engagent à aller vers plus de créativité, de liberté, d’égalité et de fraternité.
Nombreux sont ceux qui nous alertent dès maintenant : il nous faut penser un autre système de vie commune, faire de la nature qui nous entoure, et du vivant en général, non plus des entités à exploiter mais des alliés pour maintenir vivable notre monde. Redonner du sens au travail, à la production, à la technologie et aux sciences. Notre revue trimestrielle et notre site internet sont les supports de dossiers qui donneront des clés de lecture du monde à l’écart d’une information devenue trop pressante qui ne permet plus de faire le tri entre ce qui est vrai ou faux, essentiel ou accessoire. Notre objectif est de redonner du temps au temps pour conjurer « la crise de la patience » dont parle Étienne Klein dans ce numéro, pour ne plus être des otages mais des acteurs. Car nous pensons qu’un média doit être un moyen de réfléchir pour agir. Quand une ville crée une mutuelle communale pour ses habitants qui n’auraient pas la possibilité d’y souscrire autrement, quand une agglomération installe partout sur son territoire des micro-forêts urbaines, quand un petit village ouvre une école Montessori en contrat avec l’Éducation nationale pour que la vie reparte, quand, ailleurs dans le monde, on explore de nouvelles formes de jurys citoyens… Alors on bâtit concrètement le monde de demain. Partager ses expériences pour donner à d’autres des idées est l’un des rôles moteurs que s’est fixé L’Inspiration politique.
L’Occident qui domine le monde depuis cinq siècles connaît une crise historique de son modèle social, économique et environnemental. D’autres régions émergent qui bientôt seront de taille à contester cette domination. Nous avons la conviction que le repli craintif n’est pas la solution. Au contraire, l’audace, la coopération et l’inventivité sont les clés de l’avenir. Encore faut-il s’en faire l’écho pour dessiner un futur où les grands principes d’égalité, de fraternité et de liberté qui fondent la nation républicaine puissent y prospérer. Il faut que la raison et le courage gagnent sur la peur pour conjurer un grand naufrage civilisationnel. Nous posons notre pierre pour y contribuer.
Bonne lecture !