PHILIPPE RIO
maire de Grigny, vice-président du
Grand Paris Sud en charge du cycle
de l’eau et président de la régie publique de l’agglomération.
Propos recueillis par Bruno LAFOSSE
— Du 22 au 24 mars dernier, vous avez participé à la Conférence des Nations Unies sur l’eau 2023 au siège de l’ONU. À quoi a-t-elle servi ?
Philippe Rio : Le changement climatique nous oblige à nous réinterroger sur le grand et le petit cycle de l’eau. La question d’accès à l’eau est capitale car des milliards d’habitants dans le monde n’ont pas accès à l’eau potable. Ce n’est pas le cas en France, sauf en outre-mer, avec par exemple la Guadeloupe qui souffre de coupures régulières. Toutefois, l’eau va devenir une ressource de plus en plus rare, y compris dans les pays riches, avec une multiplication des conflits d’usages, entre agriculteurs, citoyens, usagers et industriels. Cela pose aussi la question du droit à l’assainissement et l’accès à une eau non polluée. On le voit par exemple en Inde, qui connaît de gros soucis de santé publique et de pollution, faute d’assainissement des eaux usées à un niveau suffisant. Cette conférence mondiale sur l’eau, la première depuis quarante ans, était importante car jusque-là, l’eau était dans un angle mort du changement climatique. Elle nous a permis de réaffirmer que l’eau est un bien commun et un droit humain fondamental.
— Vous avez rencontré António Guterres, secrétaire général des Nations unies. Quel message lui avez-vous fait passer ?
P.R. : Je l’ai rencontré avec les maires de Rotterdam, Tanger et Libreville, ainsi que le gouverneur de Valparaíso, régulièrement menacé de mort dans son pays pour s’opposer à une constitution ultralibérale qui considère l’eau comme un bien privé et une marchandise dont la gestion ne peut être confiée qu’au marché. J’ai porté le message suivant : l’urgence climatique et les inégalités galopantes nous obligent à une déprivatisation de l’eau.
— Vous plaidez pour une gestion publique de l’eau. Les grandes entreprises industrielles qui ont géré l’eau ne font pas bien leur travail ?
P.R. : Si l’eau est un bien commun et un droit humain, alors sa gestion doit sortir des marchés. Lorsqu’on paie l’eau de 15 % à 20 % plus cher pour rémunérer des actionnaires, c’est injuste et immoral. Les efforts financiers ne doivent pas servir les actionnaires, mais financer l’adaptation au changement climatique : sobriété, dépollution, tarification…
« L’urgence climatique et les inégalités galopantes nous obligent à une déprivatisation de l’eau »
— Le président de la République a annoncé un plan Eau le 30 mars. Est-ce qu’il répond aux attentes ?
P.R. : Non ! On retrouve bien sûr quelques mesures de bon sens, mais on ne change rien à la nature du système. Ce plan fixe des objectifs trop faibles, notamment en matière de réutilisation des eaux usées. Il ne donne pas de moyens de coercition et peu de modalités opérationnelles. En Guadeloupe, 50 % du réseau fuit, et on ne déclenche pas de plan Orsec !
— Vous venez de demander à Coca-Cola de cesser de puiser dans la nappe phréatique. Coup de com ?
P.R. : Je demande à Coca-Cola de faire preuve de sobriété, comme nous le demandons chaque jour à nos concitoyens. Les usagers ont réduit leur consommation, sous la pression. Les collectivités font un effort immense en changeant les pratiques en matière de gestion des espaces verts avec moins d’arrosage. Les industriels et les agriculteurs doivent également prendre leur part. Je demande à Coca-Cola de faire le même effort en ne puisant pas dans la nappe phréatique. Notez que je propose une solution alternative à l’entreprise en lui fournissant de l’eau que nous produisons avec notre régie. J’ai obtenu un accord de principe sur ce plan B et nous discutons désormais d’éléments techniques et financiers.